Courant helvétique et Civilisation de Cortaillod env. 4500 à 3200 av. J.C.
Vif, Isère
civilisation de Fiorano ?
Nos connaissances sur la fin du
Mésolithique et le début du Néolithique se sont considérablement
étendues depuis dix ans . En effet la région que l'on considérait
comme presque déserte au cours des VIIe et VIe millénaires,
se trouve avoir été parcourue par nombre de chasseurs à
outillage microlithique qui installaient leurs campements sur les cols, sur
les axes de passage et près des gisements de silex en Vercors, en Chartreuse
et en Oisans à des altitudes le plus souvent supérieures à
1000m. Les résultats qui s'accumulent permettront de mieux connaître
le substrat humain et culturel au moment où se prépare la néolithisation.
Quels sont les marqueurs archéologiques de la néolithisation?
Pour simplifier, le Néolithique est installé quand céréales,
élevage, hache polie et céramique sont réunis. Mais entre
le stade de chasseur-cueilleur exclusif et celui de paysan intégral
les étapes sont longues et diverses; l'association de quelques uns
de ces éléments atteste seulement un début de néolithisation.
C'est ce qui se passe pour les Alpes au milieu de la période Atlantique.
- Près du Rhône à Seyssel, Haute-Savoie, dans quelques
stations de surface des silex de type mésolithique étaient associés
à de petites haches polies, mais sans céramiques ni faune.
- Un niveau, malheureusement peu documenté, est placé vers 5350
BC à la Grande Gave, la Balme en Savoie.
- Dans une couche d'occupation datée de 4800 BC en Haute-Savoie , chèvre
et mouton atteignent 20% de la faune consommée, dans un contexte totalement
dépourvu de céramique mais
avec une industrie à microlithes d'inspiration helvé-
tique.
- Pour comparaison signalons la couche découverte à
Sion-Planta en Valais, datée de 5300 BC qui possède
95% de faune élevée et de la céramique du Néolithi-
que ancien valaisan.
- Choranche , en Vercors occidental, une couche de
5150 BC contient silex mésolithiques et céréales.
Tout à côté , pas de céramique mais boeuf et porc
représentent 54% de la faune, à 4940 BC.
- Près de Grenoble la date d'environ 5100 BC a été
obtenue dans un niveau sans céramique qui comportait chèvre
et mouton.
- Près du lac de Bouvante en Vercors des adeptes du nouveau mode de
vie possèdent les mêmes silex, une petite hache polie et de la
céramique.
- Près du col de
Lus-la-Croix-Haute, Drôme, entre la vallée du Buëch et le
Trièves , sont associées céramique impressionnée,
hache polie et une faune sauvage dominante (cervidés, aurochs).
Ces groupes mésolithiques en voie de néolithisation sont porteurs
généralement de la technique castelnovienne.
- En Diois de la céramique est associée à des silex mésolithiques
et une couche à céramique attribuée au Néolithique
ancien est datée de 4870 BC. Dans l'industrie lithique il y a toujours
des flèches tranchantes traduisant encore la vocation de chasseurs
des néolithisés.
- A l'est, à limite
du Gapençais et du Champsaur, aucun site n'est attribuable à
cette période mais S.Wegmüller retrouve dans les pollens de la
tourbière de la Lauza, à 1130m d'altitude, des indices de déforestation
recouverts par des niveaux argileux dus à une érosion intense
des sols. On est en droit d'imaginer la création de pâtures qui
seront de courte durée car les déboisements ne reprendront qu'au
Bronze final.
En attendant d'être mieux éclairés le début de la néolithisation des Alpes du Nord, ces témoins sont déjà lourds de signification, qui voient haches polies, animaux domestiques et parfois céramiques ou céréales associés aux petits silex habituels dans la région durant le Mésolithique. Actuellement les gisements sont rares ce qui permet de penser que le Ve millénaire présente une très faible densité d'occupation, avec une prédilection pour les altitudes moyennes. Selon toute vraisemblance quelques groupes de chasseurs de tradition mésolithique ont adopté quelques parties des pratiques néolithiques qui se diffusaient dans la vallée du Rhône, soit par le Nord avec le Néolithique ancien rhodanien en Savoie, soit par l'Ouest et le Sud avec la civilisation cardiale.
Quelques manifestations de l'Epicardial
apparaissent depuis peu: à la Grande Rivoire, Sassenage, Isère,
un niveau à céramique épicardiale méridionale
daté de 4710 BC où l'élevage atteint 40% de la faune;
ce faciès qui coexistera avec le début du Chasséen commence
à être mieux connu avec des gisements comme celui de Barret-de-Lioure
en Diois, Drôme. Mais actuellement il ne semble pas avoir eu un gros
impact dans les Alpes.
Sur le versant italien des chasseurs à la grotte de Boira Fusca dans la vallée de l'Orco n'ont pas de céramique mais un horizon à grands triangles, tout à fait comparable à ceux des Préalpes, est pratiquement inconnu en Italie. Dès le Néolithique ancien des nomades néolithisés occupent les Alpes sur les deux versants: existe-t-il un Néolithique ancien spécifique aux Alpes occidentales, c'est une hypothèse qu'émet F.Fedele.
Les groupes mésolithiques
acculturés survivront-ils au cours du IVe millénaire? Rien aujourd'hui
ne l'assure. Par contre se développera une autre forme de néolithisation
représentée par une véritable colonisation, c'est-à-dire
l'implantation de communautés venues d'ailleurs.
Les anciens occupants ne seront pas capables de concurrencer des organisations
sociales et techniques déjà élaborées dans des
systèmes économiques plus cohérents et probablement plus
complexes.
Il ne faut pourtant pas exclure la possibilité de coexistence entre
eux et les colons, dans un espace suffisamment vaste pour que tous puissent
y vivre longtemps selon leurs traditions, encore que nous n'en ayons pas de
preuve archéologique.
Au cours du Ve millénaire
se développera dans les Alpes le mouvement lié à une
hypothétique poussée démographique pour rechercher de
nouveaux terroirs à partir des régions méditerranéenne
et helvétique où agriculture et élevage s'étaient
mis en place dès le début du VIe millénaire.
La conquête de nouvelles terres va atteindre le piedmont des massifs
alpins dont la couverture arborée atteint son maximum à la période
Atlantique. La civilisation chasséenne
du Néolithique moyen coexistera dans les régions les plus au
nord avec la civilisation de Cortaillod,
arrivée plus tardivement de Suisse occidentale.
Cette première colonisation constituera le début de l'occupation
permanente au cours des Ve et IVe millénaires. Cette longue durée,
tout comme la rareté des sites actuellement découverts, expliquent
la lenteur de l'implantation des communautés venues du Sud et du Nord
qui s'établissent chacune sur des terrains conformes à leurs
traditions, agricoles et sociales, mais dont les contacts entre elles sont
indéniables.
Sur des territoires faiblement
peuplés, la mise en exploitation est révélée par
la déforestation, la présence de céréales et de
plantes rudérales dans les analyses polliniques. Un exemple est donné
à Francillon, Drôme, dans le premier niveau du Néolithique
moyen avec une forte et brutale diminution des pollens d'arbres. Mais les
cultures sur terrain essartés ne sont pas permanentes et sont abandonnées
après un laps de temps difficile à mesurer, probablement suivant
un cycle d'installation semi-temporaire liée à la technique
du brûlis et à la fertilité des sols.
Très démonstrative est l'évolution de la végétation
lors de la colonisation des coteaux orientaux du Vercors près de Grenoble
à Seyssinet-Pariset à la fin du IIIe
millénaire. Là, à 500m d'altitude, trois niveaux archéologiques
correspondent à trois phases principales de déforestation avec
présence de céréales, séparées par trois
phases de reboisement traduisant un abandon de longue durée. Même
si, à partir de la fin du Néolithique, des abandons surviennent
encore ils sont bien plus courts, traduisant une pression démographique
plus forte qui s'accentuera progressivement jusqu'au début du Bronze
moyen.
Depuis le Languedoc et la Provence
les Chasséens suivront deux voies: celle de la Durance vers les Hautes-Alpes
et celle du couloir rhodanien à partir duquel des courants se dirigent
vers 'est pour emprunter les axes de pénétration que sont les
cluses de l'Isère, du Rhône et de Chambéry, s'ouvrant
entre les massifs préalpins pour atteindre le Sillon alpin. Adaptés
aux terroirs ensoleillés et secs du Midi, les Chasséens choisiront
des terres conformes à leurs habitudes, c'est-à-dire des zones
d'altitude moyenne ou basse, aux sols secs avec une préférence
nette pour le Sud de la région (Drôme et Hautes-Alpes).
Ce n'est pas encore une colonisation de grande ampleur que montrent les sites
possédant leur céramique bien modelée et bien cuite ainsi
que leurs outils façonnés sur lame et lamelle associés
à des pointes de flèches triangulaires.
Pour en suivre les premières péripéties on ne dispose
que de quelques dizaines de gisements entre la deuxième moitié
du Ve et du début du IIIe millénaire ; bien peu ont fourni des
datations. S'ils offrent du matériel attribuable au Chasséen
les structures d'habitats ou les données sur l'économie et la
vie quotidienne sont plus rares actuellement dans les Alpes que dans la vallée
du Rhône où des recherches récentes les mettent en évidence.
Le Dauphiné
- Diois et marges du couloir rhodanien sont colonisés par les
Chasséens à partir de 4500 BC jusqu'à 2600 BC. Plus à
l'est ils atteignent le confluent de la Durance et du Buëch , sans s'infiltrer
semble-t-il le long du cours amont de la Durance vers le Briançonnais.
Les récents travaux du Centre de recherches préhistorique de
Valence concernant l'implantation des sites ont montré la densité
de l'occupation sur les terrasses, rebords de plateaux, éperons, cols
ou hauteurs, dont les restes sont le plus souvent enfouis dans d'anciens chenaux
ou dépressions comblés par colluvion et arasement liés
aux activités anthropiques, cultures et déboisements. Près
de Die des fosses dépotoirs ressemblent à celles mis au jour
en grand nombre dans les sites chasséens de la plaine du Rhône.
- Au Nord du col de Lus-la-Croix-Haute, le Trièves a livré
anciennement des silex chasséens sur un éperon au-dessus de
l'Ebron (Saint-Martin-de- Clelles). Les occupants venaient-ils du Sud, de
la vallée du Buëch ou du Nord, de la cuvette grenobloise? Rien
ne permet de le préciser, seule est sûre la présence de
paysans au Néolithique moyen dans cette région du Sillon alpin
où les larges terrasses du Drac et ses affluents offrent des terroirs
propices qui mériteraient des prospections.
- Une abondante série de lames et lamelles chasséennes découverte
en plein air (Bressieux) sur une terrasse latérale de la fertile et
large dépression de la Bièvre-Valloire située entre le
Rhône et la cluse de l'Isère. En l'absence de vestiges sur le
cours de la basse Isère, entre Voreppe et Romans, je ferais de cette
plaine la voie de pénétration chasséenne vers le carrefour
grenoblois à partir du couloir rhodanien au Néolithique moyen.
- Les fouilles de H. Müller,
au début du siècle, ont surtout porté sur la région
grenobloise amenant la découverte de plusieurs stations en grotte avec
silex, céramique et faune. Malheureusement la céramique chasséenne
d'une phase assez tardive se trouve mélangée dans les tiroirs
des collections, ce qui diminue considérablement les renseignements
que l'on pourrait en attendre. Des fouilles récentes y datent du Chasséen
vers 4520 et 4230 BC (Sassenage).
- Sur le Rhône moyen dans le Nord-Dauphiné, le Néolithique
moyen bourguignon se manifeste par deux vases, mélangés à
des récipients chasséens (Balme-les-Grottes, Isère),
dans un ossuaire daté de 4060 BC.
Très étrange est l'habitat perché de Vif, au Sud de Grenoble,
avec des silex chasséens mais aussi un fond de cabane rond et enterré
comportant des éléments faisant penser à la civilisation
de Fiorano de Lombardie. Bien que non daté, ils témoigneraient,
si le rapprochement se confirme, de contacts à la deuxième moitié
du Ve millénaire avec la plaine du Pô pourtant fort éloignée,
mais par quel passage des Alpes? Ces vases sont encore les seuls de leur espèce
à l'Ouest des Alpes.
La
Savoie
La province de Savoie n'a pas attiré les Chasséens car les sites
sont très rares.
- C'est la Balme-de-Thuy, Haute Savoie, qui nous éclaire toujours par
une couche comportant de la céramique et des lamelles chasséennes,
datée de 4020 BC. Le cerf est l'espèce la plus représentée
avec présence de l'ours et de l'aurochs prouvant l'importance de l'environnement
forestier; chèvre, mouton et porc complètent l'alimentation
carnée.
- Le Rhône coupe les derniers chaînons du Jura méridional
au défilé de Pierre-Châtel, voie naturelle de pénétration
vers l'Est par un étroit canyon entre la Balme et Yenne en savoie,
jalonné de nombreuses grottes où de la céramique chasséenne
a été récoltée au début du siècle
; comme pour toutes les fouilles anciennes nous ne pouvons pas en savoir davantage
mais depuis peu une couche avec des tessons chasséens a été
datée d'environ 4140 BC . Juste en face, en rive droite du fleuve,
un petit foyer daté de 4530 BC contenait aussi quelques fragments de
vases chasséens .
- Céramiques et silex existent en grotte près d'Aix-les-Bains
et dans un habitat de plein air sur les hauteurs de Chambéry .
- Sur la terrasse de Francin, Savoie, au-dessus de l'Isère, des fonds
de cabane avec céramiques et silex sont datés de 2910 BC et
les pollens les situent dans la deuxième partie de l'Atlantique: ici
les derniers Chasséens perdurent dans un contexte favorable à
leur économie. Les analyses palynologiques ont montré par ailleurs
une déforestation par brûlis et une culture intense des céréales
qui nous renseignent sur les modes culturaux en usage.
La Civilisation de Cortaillod
imprègne l'avant-pays savoyard à partir du plateau helvétique
aussi bien sur les rives du lac Léman qu'en sites terrestres en Chablais.
- Cette présence Cortaillod au Sud du lac Léman est confirmée
par des tombes en coffre "Glis-Chamblandes" qui sont à rattacher
directement au groupe vaudois et valaisan; à Lugrin une date obtenue
sur les os (3850 BC) concorde avec celles de Suisse, entre 4500 BC et 3500
BC .
- Plus au Sud le Cortaillod se manifeste en grotte près d'Aix-les-Bains
(3790 BC) avec la présence d'un "proto-Cortaillod" présentant
quelques caractères chasséens et en plein air près de
Chambéry. - Sur les bords du Rhône, en rive droite et en rive
gauche, des grottes comme des stations de plein air jalonnent un axe de diffusion
vers l'Ouest, le long du fleuve.
- Quelques dates ont été
récemment obtenues sur des pieux du lac d'Annecy
(-3783) et du lac du Bourget (-3842); ici il y a un peu de matériel
Cortaillod parmi lequel se distinguerait aussi une influence du Néolithique
moyen bourguignon. De toute manière l'implantation et les influences
Cortaillod ne dépassent pas vers le Sud la latitude de Grenoble où
quelques céramiques à boutons en sont les plus méridionales
.
En Savoie, la civilisation de Cortaillod efface-t-elle les rares implantations
chasséennes ou bien les deux types d'économie coexistent-ils
? Il est difficile de trancher mais à la Balme-de-Thuy, Haute-Savoie,
un niveau Cortaillod (3980 BC) est sus-jacent à un niveau chasséen
d'environ 4020 BC. Pendant que les Cortaillod vivent en Savoie, les Chasséens
se sont-ils maintenus là où ils s'étaient implantés
? on n'est pas en mesure de le discerner, les vestiges étant trop rares
et mal datés.
Quelques tessons de Vases à bouche carrée (VBQ) ont été reconnus par J.Vital à Sassenage près de Grenoble, à Chatelus dans le Sud-Ouest du Vercors, à Montmaur-en-Diois, à Ballons en Baronnies et en Bugey au Nord du Rhône. Ce faciès du début du Néolithique moyen occupe la Lombardie et un peu plus tardivement le Piémont. Par où sont-ils arrivés à l'Ouest des Alpes? Evidemment ces vases lombards sont présents dans plusieurs sites des vallées de la Doire Ripaire, de l'Orco, du Chisone, dans le bas Piémont et sur le haut Rhône à Sion; mais il n'y en a nulle trace en Maurienne ni en Tarentaise pour servir de relais et nous verrons que ces deux régions des Alpes internes ne sont pas encore ouvertes vers l'Ouest. Actuellement il est plus sage d'envisager une origine méridionale, de Ligurie, dans le sillage de l'Epicardial dont les VBQ sont contemporains comme nous incitent à le penser deux dates de Chatelus (4510 et 4460 BC).
NÉOLITHISATION ET NÉOLITHIQUE ANCIEN
env. 5300 à 4500 av. J.C.