NEOLITHIQUE MOYEN
env. 4500 à 3200 av. J.C.

Vif, Isère
civilisation de Fiorano ?

Au cours du Ve millénaire se développera dans les Alpes le mouvement lié à une hypothétique poussée démographique pour rechercher de nouveaux terroirs à partir des régions méditerranéenne et helvétique où agriculture et élevage s'étaient mis en place dès le début du VIe millénaire.
La conquête de nouvelles terres va atteindre le piedmont des massifs alpins dont la couverture arborée atteint son maximum à la période Atlantique. La civilisation chasséenne du Néolithique moyen coexistera dans les régions les plus au nord avec la civilisation de Cortaillod, arrivée plus tardivement de Suisse occidentale.
Cette première colonisation constituera le début de l'occupation permanente au cours des Ve et IVe millénaires. Cette longue durée, tout comme la rareté des sites actuellement découverts, expliquent la lenteur de l'implantation des communautés venues du Sud et du Nord qui s'établissent chacune sur des terrains conformes à leurs traditions, agricoles et sociales, mais dont les contacts entre elles sont indéniables.

Sur des territoires faiblement peuplés, la mise en exploitation est révélée par la déforestation, la présence de céréales et de plantes rudérales dans les analyses polliniques. Un exemple est donné à Francillon, Drôme, dans le premier niveau du Néolithique moyen avec une forte et brutale diminution des pollens d'arbres. Mais les cultures sur terrain essartés ne sont pas permanentes et sont abandonnées après un laps de temps difficile à mesurer, proba-blement suivant un cycle d'installation semi-temporaire liée à la technique du brûlis et à la fertilité des sols.

Très démonstrative est l'évolution de la végétation lors de la colonisation des coteaux orientaux du Vercors près de Grenoble à Seyssinet-Pariset à la fin du IIIe millénaire. Là, à 500m d'altitude, trois niveaux archéologiques correspondent à trois phases principales de déforestation avec présence de céréales, séparées par trois phases de reboisement traduisant un abandon de longue durée. Même si, à partir de la fin du Néolithique, des abandons surviennent encore ils sont bien plus courts, traduisant une pression démographique plus forte qui s'accentuera progressivement jusqu'au début du Bronze moyen.

Civilisations chasséenne et Saint-Uze
env. 4500 à 3200 av. J.C.

Depuis le Languedoc et la Provence les Chasséens suivront deux voies : celle de la Durance vers les Hautes-Alpes et celle du couloir rhodanien à partir duquel des courants se dirigent vers l'est pour emprunter les axes de pénétration que sont les cluses de l'Isère, du Rhône et de Chambéry, s'ouvrant entre les massifs préalpins (16) pour atteindre le Sillon alpin.
Adaptés aux terroirs ensoleillés et secs du Midi, les Chasséens choisiront des terres conformes à leurs habitudes, c'est-à-dire des zones d'altitude moyenne ou basse, aux sols secs avec une préférence nette pour le Sud de la région (Drôme et Hautes-Alpes).

Ce n'est pas encore une colonisation de grande ampleur que montrent les sites possédant leur céramique bien modelée et bien cuite ainsi que leurs outils façonnés sur lame et lamelle associés à des pointes de flèches triangulaires.
Pour en suivre les premières péripéties on ne dispose que de quelques dizaines de gisements entre la deuxième moitié du Ve et du début du IIIe millénaire ; bien peu ont fourni des datations. S'ils offrent du matériel attribuable au Chasséen les structures d'habitats ou les données sur l'économie et la vie quotidienne sont plus rares actuellement dans les Alpes que dans la vallée du Rhône où des recherches récentes les mettent en évidence.

Le Dauphiné

- Diois et marges du couloir rhodanien (17) sont colonisés par les Chasséens à partir de 4500 BC jusqu'à 2600 BC. Plus à l'est ils atteignent le confluent de la Durance et du Buëch (18), sans s'infiltrer semble-t-il le long du cours amont de la Durance vers le Briançonnais.
Les récents travaux du Centre de recherches préhistorique de Valence (19) concernant l'implantation des sites ont montré la densité de l'occupation sur les terrasses, rebords de plateaux, éperons, cols ou hauteurs, dont les restes sont le plus souvent enfouis dans d'anciens chenaux ou dépressions comblés par colluvion et arasement liés aux activités anthropiques, cultures et déboisements. Près de Die des fosses dépotoirs ressemblent à celles mis au jour en grand nombre dans les sites chasséens de la plaine du Rhône.

- Au Nord du col de Lus-la-Croix-Haute, le Trièves (20) a livré anciennement des silex chasséens sur un éperon au-dessus de l'Ebron (Saint-Martin-de- Clelles). Les occupants venaient-ils du Sud, de la vallée du Buëch ou du Nord, de la cuvette grenobloise? Rien ne permet de le préciser, seule est sûre la présence de paysans au Néolithique moyen dans cette région du Sillon alpin où les larges terrasses du Drac et ses affluents offrent des terroirs propices qui mériteraient des prospections.

- Une abondante série de lames et lamelles chasséennes découverte en plein air (21) sur une terrasse latérale de la fertile et large dépression de la Bièvre-Valloire située entre le Rhône et la cluse de l'Isère. En l'absence de vestiges sur le cours de la basse Isère, entre Voreppe et Romans, je ferais de cette plaine la voie de pénétration chasséenne vers le carrefour grenoblois à partir du couloir rhodanien au Néolithique moyen.

- Les fouilles de H. Müller, au début du siècle, ont surtout porté sur la région grenobloise amenant la découverte de plusieurs stations en grotte avec silex, céramique et faune. Malheureusement la céramique chasséenne d'une phase assez tardive (22) se trouve mélangée dans les tiroirs des collections, ce qui diminue considérablement les renseignements que l'on pourrait en attendre. Des
fouilles récentes (23) y datent du Chasséen vers 4520 et 4230 BC (Sassenage).

- Sur le Rhône moyen dans le Nord-Dauphiné, le Néolithique moyen bourguignon se manifeste par deux vases, mélangés à des récipients chasséens (Balme-les-Grottes, Isère), dans un ossuaire daté de 4060 BC.

Très étrange est l'habitat perché de Vif, au Sud de Grenoble, avec des silex chasséens mais aussi un fond de cabane rond et enterré comportant des éléments (24) faisant penser à la civilisation de Fiorano de Lombardie. Bien que non daté, ils témoigneraient, si le rapprochement se confirme, de contacts à la deuxième moitié du Ve millénaire avec la plaine du Pô pourtant fort éloignée, mais par quel passage des Alpes? Ces vases sont encore les seuls de leur espèce à l'Ouest des Alpes.

Courant helvétique et Civilisation de Cortaillod
env. 4500 à 3200 av. J.C.

La Savoie

La province de Savoie n'a pas attiré les Chasséens car les sites en sont très rares.
- C'est la Balme-de-Thuy, Haute Savoie, qui nous éclaire toujours par une couche comportant de la céramique et des lamelles chasséennes, datée de 4020 BC. Le cerf est l'espèce la plus représentée avec présence de l'ours et de l'aurochs prouvant l'importance de l'environnement forestier; chèvre, mouton et porc complètent l'alimentation carnée.

- Le Rhône coupe les derniers chaînons du Jura méridional au défilé de Pierre-Châtel, voie naturelle de pénétration vers l'Est par un étroit canyon entre la Balme et Yenne en savoie, jalonné de nombreuses grottes où de la céramique chasséenne a été récoltée au début du siècle (25) ; comme pour toutes les fouilles anciennes nous ne pouvons pas en savoir davantage mais depuis peu une couche avec des tessons chasséens a été datée d'environ 4140 BC (26). Juste en face, en rive droite du fleuve, un petit foyer daté de 4530 BC contenait aussi quelques fragments de vases chasséens (27).

- Céramiques et silex existent en grotte près d'Aix-les-Bains et dans un habitat de plein air sur les hauteurs de Chambéry (28).
- Sur la terrasse de Francin, Savoie, au-dessus de l'Isère, des fonds de cabane avec céramiques et silex sont datés de 2910 BC et les pollens les situent dans la deuxième partie de l'Atlantique: ici les derniers Chasséens perdurent dans un contexte favorable à leur économie. Les analyses palynologiques ont montré par ailleurs une déforestation par brûlis et une culture intense des céréales qui nous renseignent sur les modes culturaux en usage.

Influences italiques
avec la présence de Vases à bouche carrée (VBQ)

La Civilisation de Cortaillod imprègne l'avant-pays savoyard (29) à partir du plateau helvétique (30) aussi bien sur les rives du lac Léman qu'en sites terrestres en Chablais (31).
- Cette présence Cortaillod au Sud du lac Léman est confirmée par des tombes en coffre "Glis-Chamblandes" (32) qui sont à rattacher directement au groupe vaudois et valaisan; à Lugrin une date obtenue sur les os (3850 BC) concorde avec celles de Suisse, entre 4500 BC et 3500 BC (33).

- Plus au Sud le Cortaillod se manifeste en grotte (34) près d'Aix-les-Bains (3790 BC) avec la présence d'un "proto-Cortaillod" présentant quelques caractères chasséens et en plein air près de Chambéry (35).

- Sur les bords du Rhône, en rive droite et en rive gauche, des grottes comme des stations de plein air jalonnent un axe de diffusion vers l'Ouest, le long du fleuve (36).

- Quelques dates ont été récemment obtenues sur des pieux du lac d'Annecy (-3783) et du lac du Bourget (-3842) (37) ; ici il y a un peu de matériel Cortaillod parmi lequel se distinguerait aussi une influence du Néolithique moyen bourguignon. De toute manière l'implantation et les influences Cortaillod ne dépassent pas vers le Sud la latitude de Grenoble où quelques céramiques à boutons en sont les plus méridionales (38).

En Savoie, la civilisation de Cortaillod efface-t-elle les rares implantations chasséennes ou bien les deux types d'économie coexistent-ils ? Il est difficile de trancher mais à la Balme-de-Thuy, Haute-Savoie, un niveau Cortaillod (3980 BC) est sus-jacent à un niveau chasséen d'environ 4020 BC. Pendant que les Cortaillod vivent en Savoie, les Chasséens se sont-ils maintenus là où ils s'étaient implantés ? on n'est pas en mesure de le discerner, les vestiges étant trop rares et mal datés.

Quelques tessons de Vases à bouche carrée (VBQ) ont été reconnus par J.Vital à Sassenage près de Grenoble, à Chatelus dans le Sud-Ouest du Vercors, à Montmaur-en-Diois, à Ballons en Baronnies et en Bugey au Nord du Rhône.
Ce faciès du début du Néolithique moyen occupe la Lombardie et un peu plus tardivement le Piémont. Par où sont-ils arrivés à l'Ouest des Alpes? Evidemment ces vases lombards sont présents dans plusieurs sites des vallées de la Doire Ripaire, de l'Orco, du Chisone, dans le bas Piémont et sur le haut Rhône à Sion; mais il n'y en a nulle trace en Maurienne ni en Tarentaise pour servir de relais et nous verrons que ces deux régions des Alpes internes ne sont pas encore ouvertes vers l'Ouest. Actuellement il est plus sage d'envisager une origine méridionale, de Ligurie, dans le sillage de l'Epicardial dont les VBQ sont contemporains comme nous incitent à le penser deux dates de Chatelus (4510 et 4460 BC).

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ARCHÉOLOGIE ET PEUPLEMENT
DES ALPES FRANCAISES DU NORD
Carte de répartition des sites du Néolithique moyen
voir la diffusion totale du Néolithique
Silex de La Croix Trouva à Bressieux, Isère.
Saint-Martin de Clelles, Isère
Vercoiran (Sainte-Luce) Drôme.