LE PASSÉ DE L'OISANS ET LA VOIE GRENOBLE-LE COL DU LAUTARET

par Aimé Bocquet

Les Hallstattiens et les Gaulois

Au Xème siècle av. J.-C. se développe en Autriche et au sud de l'Allemagne, une civilisation qui brillera en Europe occidentale pendant près de cinq siècles. Ces Hallstattiens, premiers Celtes et héritiers de tribus de cavaliers nomades venus de l'Asie centrale, manifestent des volontés d'expansion qui se traduisent par le contrôle des territoires avec l'implan-tation de place fortes, l'organisation du commerce à longue distance et l'intro-duction de la première métallurgie du fer. Société très hiérarchisée, conduite par des princes riches, ils possèdent de grandes qualités artisanales et artistiques retrou-vées dans les bijoux, un savoir-faire du travail des métaux et un armement très efficace qui leur donne la maîtrise guerrière. Peu d'habitats peuvent leur être attribués, ils ont une culture nomade, mais il sont mieux connus par leurs nécropoles en tumulus. Dans la région, citons celles du plateau matheysin et celles des bassins du Buech-Durance.
A partir du Vème siècle, les Gaulois forment la deuxième vague de Celtes nomades et guerriers qui supplantent les Halsttatiens sur leurs territoires et dans leurs prérogatives administratives et commerciales. Mais, contrairement aux Halsttatiens, ils partent à la conquête de l'Italie dès le IVème siècle.

 

Hache à douille
de Villard-Notre-Dame
Carte de l'Oisans
Carte de l'Oisans
La bibliographie sommaire
Tombes de l'âge du Fer
aux environs de Grenoble : dessins

La Tronche
Saint-Égrève
Seyssinet-Pariset
Sassenage
Fontaine
Varces
Meylan
Vers le début du site internet
Pour éviter les gorges profondes et inhospitalières de la basse vallée de la Romanche, entre Séchilienne et Rochetaillée, un grand détour aurait pu être fait par la Matheysine et sa communauté hallstattienne du VIIe siècle av. J.-C. (tombes alpines plates de la Motte-d'Aveillans) sur la route entre Grenoble et le Gapencais. De cette voie on remonterait la vallée de la Bonne jusqu'au col d'Ornon (nécropole de l'âge du Fer à La Palud d'Ornon) pour arriver au bassin du Bourg-d'Oisans. C'est une hypothèse à envisager, sans plus de preuves archéologiques.
Trois lieux-dits portent le nom d'Avorant ou Lavorand, à 500 m en amont de Gavet(en 1339 : Cloti de Avorando, Cumba de Avorando, Nemus Avorandi).

L'Oisans
Le village de Venosc et la prairie qui monte à l'Alpe

 

Durant la préhistoire

Le massif de l'Oisans doit à son altitude élevée et à son relief accidenté d'avoir reçu assez tardivement un peuplement permanent. Les vestiges préhistoriques sont donc rares mais ceux que nous possédons, par des
découvertes fortuites, sont suffisants pour brosser un tableau significatif des temps anciens.

Les premiers chasseurs en montagne

Pour les périodes les plus reculées, un campement mésolithique (VIIe/VIe millénaire av. J.-C.) près du lac du Poursollet à 1650 m d'altitude dans le massif du Taillefer, prouve que le gibier des montagnes du cœur des Alpes attirait des chasseurs valeureux installés en plaine, que ne rebutaient ni l'éloignement ni les obstacles naturels.

Des exploitations minières dès le début du 2e millénaire av. J.-C.

En 1976, je publiai avec J. Rebillard une étude sur 161 gîtes de cuivre des Alpes du Nord et les relations qui pouvaient exister avec les découvertes archéologiques. En particulier une série de filons étaient signalés à Vaujany dans le massif des Grandes Rousses (la Demoiselle, les Jasses, la Cochette) ; mais aucun élément archéologique ne pouvait leur être rattaché.
Or de toutes récentes fouilles de M.-C. Bailly-Maître et de T. Gonon dans ce secteur ont permis de mettre au jour des traces d'exploitation ayant conservé des fragments de bois : ceux-ci ont été datés de 2000 env. av. J.-C.
Cette date correspond au début de l'âge du Bronze (Bronze ancien) et cette zone des Alpes du Nord est totalement dépourvue de vestiges de cette époque : au nord on en a dans la Combe de Savoie et en Tarentaise, au sud sur le haut Drac, à l'ouest sur le Drac et autour de Grenoble. Il n'y a pas de traces de cette période à moins de 30 à 40 km et dans régions géographiquement fort différentes.
C'est une découverte est fondamentale pour la préhistoire alpine. En effet nous connaissons seulement deux mines de cuivre exploitées à l'âge du Bronze : un poignard de la Civilisation du Rhône d'origine helvétique daté des XXe/XVIIIe siècle av. J.-C. et trouvé à l'entrée d'une mine près de Moûtiers et le filon de Saint-Véran exploité par des métallurgistes venus de la plaine du Pô entre 2460-2140 BC et entre 2114-1761 BC.
Donc des mineurs sont montés dans les Grandes Rousses au XXe siècle av. J.-C. pour ramener de la chalcopyrite et du cuivre gris (deux formes de sulfure de cuivre). D'où sont-ils venus, où ont-ils porté le minerai pour y être traité, voilà toutes les questions que le préhistorien se pose sans pouvoir encore y répondre autrement que par des hypothèses. Doit-on les rattacher aux Suisses venus du Valais pour exploiter des mines en haute Tarentaise ou bien aux Lombards de la Civilisation de Remedello qui ont travaillé à Saint-Véran ?
Mais on peut déjà tirer quelques conclusions de cette découverte : on dispose d'un exemple supplémentaire de la connaissance que ces hommes avaient des ressources et de la géographie des Alpes à une époque où nous les imaginons volontiers comme survivants difficilement dans un monde clos et hostile... Dans de vastes zones sans habitat permanent, ils devaient développer des talents de " géologues " et d'orientation qui se communiquaient de génération en génération.
Espérons d'autres bonnes nouvelles de la part de M.-C. Bailly-Maître comme celle d'éléments culturels qui nous livreraient l'origine des mineurs.

Les paysans arrivent

Mais à part la chasse, qui a dû être pratiquée plus ou moins sporadiquement pendant des millénaires, les paysans néolithiques, s'installent dans les vallées de l'Isère, du Drac et de la Durance à partir du Ve millénaire ; ils ont pu utiliser les alpages sans que nous en ayons de preuves, ces activités de transhumance laissant peu de vestiges. Il existe bien une hache polie retrouvée au-dessus du village de Venosc ou d'autres, signalées au XIXe siècle et disparues depuis, dans la région du Bourg-d'Oisans. Mais ce ne sont pas des témoins totalement significatifs d'une présence permanente des Néolithiques car ces objets, autrefois mystérieux, avaient une vocation prophylactique pour les troupeaux : ils étaient placés dans un étui de cuir attaché au cou des béliers transhumants pendant des siècles... et ont pu être ensuite perdu en haute altitude.

Bien que du Ve au IIe millénaire le climat ait été plus propice qu'actuellement (des troncs d'arbres sont conservés dans des tourbières jusqu'à 2300m d'altitude...), aucune nécessité véritable n'a poussé l'homme à conquérir les terres difficiles de l'Oisans pour s'y installer.
Plus tard d'autres facteurs sont intervenus pour inciter l'homme à conquérir la montagne : chercher un refuge, établir des voies de trafic transalpin, exploiter les mines.

Une colonisation importante à la fin de l'âge du Bronze

Au-dessus de Villar-d'Arêne, à Casse-Rousse à 1950 m, un dépôt d'objets en bronze était proche de filons de minerai de cuivre (chalcopyrite), à 2000 m d'altitude. Rattaché aux dépôts d'altitude des Hautes-Alpes, il marque la présence de métallurgiste dès le début du premier millénaire av. J.-C.
Les premiers témoignages de quelques implantations datent du VIIIe/VIIe siècle avec un gisement près de Bons, à Mont-de-Lans, qui comportait des vases et des restes de métallurgie du bronze ou du cuivre.
Une hache en bronze de la même époque trouvée à Villard-Notre-Dame, est d'un type provenant ou imité des haches atlantiques fabriquées en Bretagne : le commerce fonctionnait bien...
Du VIIIe siècle av. J.-C. encore, en Oisans (sans autre précision) ont été retrouvés, probablement dans une tombe, une fibule en bronze fabriquée en Italie centrale et un torque torsadé.
Dès cette époque le cœur de l'Oisans possède des objets provenant du trafic entre l'Italie et l'ouest de la France, donc sur une voie de grande importance pour la vie du monde occidental, ce qui suppose un peuplement permanent pour entretenir les voies et faciliter le trafic commercial.
Dans des montagnes au relief aussi divers et abrupt et à ces époques anciennes il est faut imaginer que des chemins reliaient toutes les communautés humaines et qu'ils étaient peu aménagés, certaine-ment non carrossables.

Cette première présence humaine permanente, au début du Ier millénaire av. J.-C., est à comparer aux forts peuplements en altitude constatés aussi en Savoie, en Queyras et en Ubaye : on les attribue à la mise en valeur des terroirs élevés par des agriculteurs venus des plaines du piedmont, qui ont vu fleurir des places fortes au cours des IXe et VIIIe siècles av. J.-C., témoignage de temps troublés.
Ces zones refuges ont pu devenir des régions de vie en montagne grâce à l'amélioration climatique qui débute à la fin du dernier millénaire av. J.-C. ; la péjoration survenue à partir du VIIIe siècle ne semble pas avoir eu de conséquences sur un le peuplement bien adapté aux conditions d'altitude.
Si des échanges transalpins existaient depuis des siècles, ils se développent fortement par la mise en place d'un commerce bien organisé entre l'Europe occidentale et l'Italie à la fin de l'âge du Bronze. L'Oisans y participe dès le VIIIe siècle av. J.-C.

La voie du col du Lautaret vers l'Italie durant la protohistoire

Dans les Alpes du Nord, les Hallstattiens du premier âge du Fer, à partir des VIIe /VIe siècles, accélèrent le commerce entre la France de l'Est et l'Italie en utilisant les montagnards comme porteurs, guides et
convoyeurs sur les divers cols : Petit-Saint- Bernard, Mont-Cenis, Montgenèvre. Les autochtones tirent profit des rétributions du portage et des péages. Leur richesse se retrouve dans les mobiliers funéraires des nécropoles et des tombes. L'Oisans n'est pas en dehors de ce phénomène et ni de cette richesse. Les tombes indigènes sont caractéristiques des Alpes : une fosse entourée de dalles contenant un
corps allongé. Le matériel funéraire, daté entre le VIIe et le IIIe siècle, témoigne d'une longue période de prospérité avec la présence de
bijoux provenant des deux cotés des Alpes, du nord de la Lombardie (civilisation alpine de Golasecca) et de l'est de la France (bracelets en bronze et décors de types hallstattiens). En plus, des bijoux sont issus d'une production alpine, ce qui montre le haut degré d'indépendance technique et de dynamisme des autochtones : chaque vallée a un style propre pour ses pro
uctions ce qui permet d'identifier les groupes de Tarentaise, de Maurienne, de Rochefort (autour de Grenoble), du
Queyras et de l'Ubaye. Les habitants des environs de Grenoble et de l'Oisans ne sont pas des Hallstattiens mais reçoivent beaucoup de pièces hallstattiennes (bracelets en fer, bracelets creux en tôle de bronze) et aussi des bracelets gravés venus du Queyras (Brié-et-Angonnes, Séchilienne, Ornon, Mont- de- Lans) ou de Maurienne en Savoie (Mont-de-Lans).
Ils constituent le groupe de l'Oisans-Rochefort des archéologues qui communiquait avec l'est de la France, avec la Savoie par la vallée de l'Eau d'Olle et le col du Glandon et au sud par le col du Lautaret.

Au deuxième âge du Fer, le commerce à l'époque gauloise n'a pas véritablement laissé de matériel spécifique en Oisans, malgré l'installation celte dans la plaine du Pô dès le Ve et surtout au début du IVe siècle av. J.-C., contrairement à ce qui s'est passé en Maurienne et en Tarentaise. Ceci n'a pas empêché la poursuite des activités montagnardes en Oisans. Le toponyme gaulois de Durotincum près de Villar-d'Arêne indique la présence gauloise au pied occidental du col du Lautaret, site que l'on retrouvera plus tard comme étape sur la route romaine puisqu'il figure sur les itinéraires antiques.

Les lieux de découvertes archéologiques nous permettent de dresser un canevas du peuplement de l'Oisans et du tracé de la voie vers l'Italie à l'aide des restes d'occupation de la fin de l'âge du Bronze et, à partir du VIIe siècle av. J.-C. à l'âge du Fer, avec les tombes ou nécropoles riches en mobilier funéraire.

 

De la région grenobloise à Vizille, la voie (qui sera aussi la route romaine) devait passer par Bresson et le talweg qui remonte jusqu'au plateau ondulé de Brié et Jarrie. A Brié existent une tombe de l'âge du Fer et un lieu-dit, non localisé aujourd'hui, appellé Briançon (de Brigantio l'oppidum en gaulois). A Jarrie la carte de Cassini indique un "Peron d'Avalon" (de Abalo, la pomme en gaulois) sur un chemin qui descend vers Vizille. Ce sont des traces de la présence gauloise.

Après Brié et Séchilienne (tombes avec bracelets de type alpin de l'âge du Fer) le chemin serpente près du lit de la Romanche, malgré les difficultés du talweg profond et très encaissé sur près de 20 km, avant d'atteindre le large bassin du Bourg-d'Oisans. Pour l'époque gauloise, le toponyme d'Avorant (randa : la limite en gaulois) près de Gavet indique un frontière sur le torrent près de Gavet.

Ensuite la plaine marécageuse de Bourg-d'Oisans, impraticable, où le chemin devait être tracé au pied des falaises occidentales, sur les faibles éboulis de bas de pente où existent encore aujourd'hui les restes d'un sentier.

En amont du Bourg-d'Oisans deux tracés sont possibles dans les Gorges de l'Infernet et du Ségu jusqu'au Chambon, présentent un relief tourmenté et des pentes abruptes.
1 - soit on suit la voie de la Romanche sur un chemin occupé aujourd'hui par la route puis le tracé connue sous le nom de " chemin romain ". Mais le passage par la " Porte de Bons ", creusée dans le rocher, ne peut pas être protohistorique pour des raisons évidentes : un petit détour est fait vers le sud passant près de la station de l'âge du Bronze et qui ne nécessite aucun travail d'aménagement.
2 - soit pour éviter la gorge encaissée, profonde et aux flancs très escarpés, le chemin fait un détour par le sud en passant par Venosc, l'Alpe de Venosc et l'Alpe de Mont-de-Lans (les Deux Alpes) pour redescendre sur Mont-de-Lans et le hameau du Chambon à Mizoën. C'est bien plus long, il faut monter à 1800 m pour revenir à 1300 m, mais il n'est pas besoin d'infrastruc-tures pour aménager un chemin sur les pentes. Ce dernier tracé est donc envisageable mais loin d'être prouvé. je n'en parle que comme hypothèse.

Depuis Bons pour rejoindre la Romanche, deux voies sont possibles :
-- par le Freney en passant près de la nécropole de l'âge du Fer, sous le village du Mont-de-Lans.
-- par Mont-de-Lans, directement vers l'ancien hameau du Chambon, en amont de la gorge du Ségu, probablement difficile à aménager.
Ces deux itinéraires sont indiqués sur la carte.

Ensuite les abords de la Romanche offrent un chemin sans difficultés majeures sur les bords du torrent par la Grave (tombe) et les Hières (nécropole) pour atteindre Villar-d'Arêne et le Lautaret. Par la vallée de la Guisane on arrive ensuite facilement à Briançon sur la haute Durance et le col du Montgenèvre vers l'Italie.

 

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La voie par Venosc
L'âge du Fer
autour de Grenoble
Carte entre Grenoble et Vizille