LE PASSÉ DE L'OISANS ET LA VOIE GRENOBLE-LE COL DU LAUTARET
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Durant
la préhistoire
Le massif de l'Oisans doit à son altitude élevée et à son relief accidenté
d'avoir reçu assez tardivement un peuplement permanent. Les vestiges préhistoriques
sont donc rares mais ceux que nous possédons, par des
découvertes fortuites, sont suffisants pour brosser un tableau significatif
des temps anciens.
Les premiers chasseurs en montagne
Pour les périodes les plus reculées, un campement mésolithique (VIIe/VIe millénaire av. J.-C.) près du lac du Poursollet à 1650 m d'altitude dans le massif du Taillefer, prouve que le gibier des montagnes du cœur des Alpes attirait des chasseurs valeureux installés en plaine, que ne rebutaient ni l'éloignement ni les obstacles naturels.
Des
exploitations minières dès le début du 2e millénaire
av. J.-C.
En 1976, je publiai avec J. Rebillard une étude sur 161 gîtes
de cuivre des Alpes du Nord et les relations qui pouvaient exister avec les
découvertes archéologiques. En particulier une série
de filons étaient signalés à Vaujany dans le massif des
Grandes Rousses (la Demoiselle, les Jasses, la Cochette) ; mais aucun élément
archéologique ne pouvait leur être rattaché.
Or de toutes récentes fouilles de M.-C. Bailly-Maître et de T.
Gonon dans ce secteur ont permis de mettre au jour des traces d'exploitation
ayant conservé des fragments de bois : ceux-ci ont été
datés de 2000 env. av. J.-C.
Cette date correspond au début de l'âge du Bronze (Bronze ancien)
et cette zone des Alpes du Nord est totalement dépourvue de vestiges
de cette époque : au nord on en a dans la Combe de Savoie et en Tarentaise,
au sud sur le haut Drac, à l'ouest sur le Drac et autour de Grenoble.
Il n'y a pas de traces de cette période à moins de 30 à
40 km et dans régions géographiquement fort différentes.
C'est une découverte est fondamentale pour la préhistoire alpine.
En effet nous connaissons seulement deux mines de cuivre exploitées
à l'âge du Bronze : un poignard de la Civilisation du Rhône
d'origine helvétique daté des XXe/XVIIIe siècle av. J.-C.
et trouvé à l'entrée d'une mine près de Moûtiers
et le filon de Saint-Véran exploité par des métallurgistes
venus de la plaine du Pô entre 2460-2140 BC et entre 2114-1761 BC.
Donc des mineurs sont montés dans les Grandes Rousses au XXe siècle
av. J.-C. pour ramener de la chalcopyrite et du cuivre gris (deux formes de
sulfure de cuivre). D'où sont-ils venus, où ont-ils porté
le minerai pour y être traité, voilà toutes les questions
que le préhistorien se pose sans pouvoir encore y répondre autrement
que par des hypothèses. Doit-on les rattacher aux Suisses venus du
Valais pour exploiter des mines en haute Tarentaise ou bien aux Lombards de
la Civilisation de Remedello qui ont travaillé à Saint-Véran
?
Mais on peut déjà tirer quelques conclusions de cette découverte
: on dispose d'un exemple supplémentaire de la connaissance que ces
hommes avaient des ressources et de la géographie des Alpes à
une époque où nous les imaginons volontiers comme survivants
difficilement dans un monde clos et hostile... Dans de vastes zones sans habitat
permanent, ils devaient développer des talents de " géologues
" et d'orientation qui se communiquaient de génération
en génération.
Espérons d'autres bonnes nouvelles de la part de M.-C. Bailly-Maître
comme celle d'éléments culturels qui nous livreraient l'origine
des mineurs.
Les paysans arrivent
Mais à part la chasse, qui a dû être pratiquée plus ou moins sporadiquement pendant des millénaires, les paysans néolithiques, s'installent dans les vallées de l'Isère, du Drac et de la Durance à partir du Ve millénaire ; ils ont pu utiliser les alpages sans que nous en ayons de preuves, ces activités de transhumance laissant peu de vestiges. Il existe bien une hache polie retrouvée au-dessus du village de Venosc ou d'autres, signalées au XIXe siècle et disparues depuis, dans la région du Bourg-d'Oisans. Mais ce ne sont pas des témoins totalement significatifs d'une présence permanente des Néolithiques car ces objets, autrefois mystérieux, avaient une vocation prophylactique pour les troupeaux : ils étaient placés dans un étui de cuir attaché au cou des béliers transhumants pendant des siècles... et ont pu être ensuite perdu en haute altitude.
Bien que du Ve au IIe
millénaire le climat ait été plus propice qu'actuellement (des troncs d'arbres
sont conservés dans des tourbières jusqu'à 2300m d'altitude...), aucune nécessité
véritable n'a poussé l'homme à conquérir les terres difficiles de l'Oisans
pour s'y installer.
Plus tard d'autres facteurs sont intervenus pour inciter l'homme à conquérir
la montagne : chercher un refuge, établir des voies de trafic transalpin,
exploiter les mines.
Une colonisation importante à la fin de l'âge du Bronze
Au-dessus de Villar-d'Arêne,
à Casse-Rousse à 1950 m, un dépôt d'objets
en bronze était proche de filons de minerai de cuivre (chalcopyrite), à 2000
m d'altitude. Rattaché aux dépôts d'altitude des Hautes-Alpes, il marque la
présence de métallurgiste dès le début du premier millénaire av. J.-C.
Les premiers témoignages de quelques implantations datent du VIIIe/VIIe siècle
avec un gisement près de Bons, à Mont-de-Lans, qui comportait des vases
et des restes de métallurgie du bronze ou du cuivre.
Une hache en bronze de la même époque trouvée à Villard-Notre-Dame,
est d'un type provenant ou imité des haches atlantiques fabriquées en Bretagne
: le commerce fonctionnait bien...
Du VIIIe siècle av. J.-C. encore, en Oisans (sans autre précision) ont été
retrouvés, probablement dans une tombe, une fibule en bronze fabriquée en
Italie centrale et un torque torsadé.
Dès cette époque le cœur de l'Oisans possède des objets provenant du trafic
entre l'Italie et l'ouest de la France, donc sur une voie de grande importance
pour la vie du monde occidental, ce qui suppose un peuplement permanent pour
entretenir les voies et faciliter le trafic commercial.
Dans des montagnes au relief aussi divers et abrupt et à ces époques anciennes
il est faut imaginer que des chemins reliaient toutes les communautés humaines
et qu'ils étaient peu aménagés, certaine-ment non carrossables.
Cette première présence
humaine permanente, au début du Ier millénaire av. J.-C., est à comparer aux
forts peuplements en altitude constatés aussi en Savoie, en Queyras et en
Ubaye : on les attribue à la mise en valeur des terroirs élevés par des agriculteurs
venus des plaines du piedmont, qui ont vu fleurir des places fortes au cours
des IXe et VIIIe siècles av. J.-C., témoignage de temps troublés.
Ces zones refuges ont pu devenir des régions de vie en montagne grâce à l'amélioration
climatique qui débute à la fin du dernier millénaire av. J.-C. ; la péjoration
survenue à partir du VIIIe siècle ne semble pas avoir eu de conséquences sur
un le peuplement bien adapté aux conditions d'altitude.
Si des échanges transalpins existaient depuis des siècles, ils se développent
fortement par la mise en place d'un commerce bien organisé entre l'Europe
occidentale et l'Italie à la fin de l'âge du Bronze. L'Oisans y participe
dès le VIIIe siècle av. J.-C.
La voie du col du Lautaret vers l'Italie durant la protohistoire
Dans les Alpes du Nord,
les Hallstattiens du premier âge du Fer, à partir des VIIe /VIe siècles, accélèrent
le commerce entre la France de l'Est et l'Italie en utilisant les montagnards
comme porteurs, guides et
convoyeurs sur les divers cols : Petit-Saint- Bernard, Mont-Cenis, Montgenèvre.
Les autochtones tirent profit des rétributions du portage et des péages. Leur
richesse se retrouve dans les mobiliers funéraires des nécropoles et des tombes.
L'Oisans n'est pas en dehors de ce phénomène et ni de cette richesse. Les
tombes indigènes sont caractéristiques des Alpes : une fosse entourée de dalles
contenant un
corps allongé. Le matériel funéraire, daté entre le VIIe et le IIIe siècle,
témoigne d'une longue période de prospérité avec la présence de
bijoux provenant des deux cotés des Alpes, du nord de la Lombardie (civilisation
alpine de Golasecca) et de l'est de la France (bracelets en bronze et
décors de types hallstattiens). En plus, des bijoux sont issus d'une production
alpine, ce qui montre le haut degré d'indépendance technique et de dynamisme
des autochtones : chaque vallée a un style propre pour ses prouctions
ce qui permet d'identifier les groupes de Tarentaise, de Maurienne, de Rochefort
(autour de Grenoble), du
Queyras et de l'Ubaye. Les habitants des environs de Grenoble et de l'Oisans
ne sont pas des Hallstattiens mais reçoivent beaucoup de pièces hallstattiennes
(bracelets en fer, bracelets creux en tôle de bronze) et aussi des bracelets
gravés venus du Queyras (Brié-et-Angonnes, Séchilienne,
Ornon, Mont- de- Lans)
ou de Maurienne en Savoie (Mont-de-Lans).
Ils constituent le groupe de l'Oisans-Rochefort des archéologues qui
communiquait avec l'est de la France, avec la Savoie par la vallée de l'Eau
d'Olle et le col du Glandon et au sud par le col du Lautaret.
Au deuxième âge du Fer, le commerce à l'époque gauloise n'a pas véritablement laissé de matériel spécifique en Oisans, malgré l'installation celte dans la plaine du Pô dès le Ve et surtout au début du IVe siècle av. J.-C., contrairement à ce qui s'est passé en Maurienne et en Tarentaise. Ceci n'a pas empêché la poursuite des activités montagnardes en Oisans. Le toponyme gaulois de Durotincum près de Villar-d'Arêne indique la présence gauloise au pied occidental du col du Lautaret, site que l'on retrouvera plus tard comme étape sur la route romaine puisqu'il figure sur les itinéraires antiques.
Les lieux de découvertes archéologiques nous permettent de dresser un canevas du peuplement de l'Oisans et du tracé de la voie vers l'Italie à l'aide des restes d'occupation de la fin de l'âge du Bronze et, à partir du VIIe siècle av. J.-C. à l'âge du Fer, avec les tombes ou nécropoles riches en mobilier funéraire.
De la région grenobloise à Vizille, la voie (qui sera aussi la route romaine) devait passer par Bresson et le talweg qui remonte jusqu'au plateau ondulé de Brié et Jarrie. A Brié existent une tombe de l'âge du Fer et un lieu-dit, non localisé aujourd'hui, appellé Briançon (de Brigantio l'oppidum en gaulois). A Jarrie la carte de Cassini indique un "Peron d'Avalon" (de Abalo, la pomme en gaulois) sur un chemin qui descend vers Vizille. Ce sont des traces de la présence gauloise.
Après Brié
et Séchilienne (tombes avec bracelets de type alpin de l'âge du Fer)
le chemin serpente près du lit de la Romanche, malgré les difficultés du talweg
profond et très encaissé sur près de 20 km, avant d'atteindre le large bassin
du Bourg-d'Oisans. Pour l'époque gauloise, le toponyme d'Avorant
(randa : la limite en gaulois) près de Gavet indique un
frontière sur le torrent près de Gavet.
Ensuite la plaine marécageuse de Bourg-d'Oisans, impraticable, où le chemin
devait être tracé au pied des falaises occidentales, sur les faibles éboulis
de bas de pente où existent encore aujourd'hui les restes d'un sentier.
En amont du Bourg-d'Oisans
deux tracés sont possibles dans les Gorges de l'Infernet et
du Ségu jusqu'au Chambon, présentent un relief tourmenté et
des pentes abruptes.
1 - soit on suit la voie de la Romanche sur un chemin occupé aujourd'hui
par la route puis le tracé connue sous le nom de " chemin romain ".
Mais le passage par la " Porte de Bons ", creusée
dans le rocher, ne peut pas être protohistorique pour des raisons évidentes
: un petit détour est fait vers le sud passant près de la station de l'âge
du Bronze et qui ne nécessite aucun travail d'aménagement.
2 - soit pour éviter la gorge encaissée, profonde et aux flancs
très escarpés, le chemin fait un détour par le sud en
passant par Venosc, l'Alpe de Venosc et l'Alpe de Mont-de-Lans (les Deux Alpes)
pour redescendre sur Mont-de-Lans et le hameau du Chambon à Mizoën.
C'est bien plus long, il faut monter à 1800 m pour revenir à
1300 m, mais il n'est pas besoin d'infrastruc-tures pour aménager un
chemin sur les pentes. Ce dernier tracé est donc envisageable mais
loin d'être prouvé. je n'en parle que comme hypothèse.
Depuis Bons pour rejoindre
la Romanche, deux voies sont possibles :
-- par le Freney en passant près de la nécropole de l'âge
du Fer, sous le village du Mont-de-Lans.
-- par Mont-de-Lans, directement vers l'ancien hameau du Chambon, en amont
de la gorge du Ségu, probablement difficile à aménager.
Ces deux itinéraires sont indiqués sur la
carte.
Ensuite les abords de la Romanche offrent un chemin sans difficultés majeures sur les bords du torrent par la Grave (tombe) et les Hières (nécropole) pour atteindre Villar-d'Arêne et le Lautaret. Par la vallée de la Guisane on arrive ensuite facilement à Briançon sur la haute Durance et le col du Montgenèvre vers l'Italie.