L'autosuffisance vivrière de la communauté limitait forcément le commerce à des besoins bien particuliers : matières premières, bijoux ou autres dont la nature périssable n'a pas permis leur conservation.
Les importations
Les ateliers de taille industrielle du silex au Grand-Pressigny en Touraine comme ceux de fabrication des haches polies en roche verte du Piémont fournissaient des outils de très bonne qualité ainsi que les lames coupantes indispensables aux haches.
Les énormes troncs de buis d'où étaient extraits les peignes à tisser ne pouvaient provenir que de régions plus sèches et plus chaudes que le Bas-Dauphiné sans qu'il soit possible d'en fixer mieux l'origine, probablement plus méridionale (Drôme ?).
La pyrite de fer nécessaire à la production du feu venait des Alpes internes, des massifs cristallins, tout comme le cristal de roche (le pendentif).
Une hache-marteau en roche verte arrive de Suisse occidentale, une pointe de flèche toujours en roche verte polie n'est connue qu'en Piémont (Balm' Canto), Suisse méridionale et en Savoie (Annecy, Sollières-Sardières) : si les premières peuvent provenir des ateliers piémontais ou valdotains, celle de Sollières peut trouver son origine dans les ateliers de Bessans. Alors Italie ou Savoie pour celle de Charavines ? la logique pencherait pour l'Italie d'où viennent aussi les haches.
Les objets de luxe, moins indispensables mais fort appréciés pour leur nouveauté et leur rareté, comme le cuivre du Languedoc et l'ambre de la Baltique témoignent aussi de l'existence de circuits d'échanges bien établis à longue distance.
Les centres de production connaissaient la présence d'une "clientèle" souvent lointaine prête à "acheter" des produits superflus comme des perles ou des pendeloques. Même les poinçons en cuivre auraient pu être remplacés aussi efficacement par des pointes en os ou en bois de cerf utilisés déjà depuis des millénaires.Mais l'attraction de la nouveauté est moteur du progrès et incite à bien des folies quand on imagine le prix que nos paysans ont dû payer pour le fascinant métal produit avec tant de difficultés ou pour l'ambre venu de si loin.
Pourtant si bien des produits circulaient, chaque village conservait longtemps ses traditions héritées de ses origines culturelles et techniques. Ainsi forme des céramiques et des outils de silex, architecture de l'habitat, modes culturaux et habitudes alimentaires sont, à Charavines, bien semblables à ceux des villages contemporains de Suisse occidentale ou de Savoie.
Avec tous ces éléments fut individualisée la civilisation Saône-Rhône (Néolithique final rhodanien) afin de tenir compte de ces traditions communes.
Toutefois chaque village ou chaque micro-région peut nouer des contacts différents avec le reste du pays, subir des influences diverses sans affecter ni modifier pour autant radicalement le fonds partagé par tous.
La civilisation Saône-Rhône sera avide par exemple de silex du Grand-Pressigny alors que celui-ci sera moins apprécié ailleurs. La position géographique et l'existence des axes d'échanges doivent ainsi jouer leur rôle : Charavines reçoit du cuivre du Midi.A Charavines un vase était muni de deux anses crochues, dites "rostriformes"; c'est un caractère spécifique de la poterie de l'ouest de la France, de la civilisation d'Artenac. L'idée ou le vase sont-ils arrivés avec les silex de Touraine?
Autre énigme, une série de récipients de terre cuite comporte un nombre important de pots à ouverture cylindrique rétrécie que la civilisation Saône-Rhône ne connaît pas. Est-ce l'invention d'un artisan original ou bien le modèle en vient-il d'Italie centrale où ces vases sont bien connus (Civ. de Rinaldone) ?
Nous avons vu la mode du poignard et du sceptre, symboles de richesse ou de prestige, atteindre nos paysans bien qu'ils ne puissent pas s'offrir les lames ou les haches-marteaux de cuivre que possédaient les princes plus orientaux.Une "monnaie" pour les échanges
Pour obtenir ce qu'on ne possède pas, il faut être en mesure de proposer ses propres produits, échangés, troqués suivant les lois du marché. Que pouvait donc offrir le village ?
Des bois de cerf qu'ils abattaient avec tant d'ardeur, les cuillères en if et les manches de haches en érable qu'ils sculptaient avec talent, les extraordinaires tissus veloutés et les peaux préparées avec soin... Nous ne le saurons jamais avec exactitude mais, c'est certain, ils possédaient quelques moyens pour acquérir ce qu'ils désiraient ou ce dont ils avaient un besoin impérieux, même s'ils n'étaient pas suffisants pour s'offrir les poignards en cuivre dont ils devaient rêver et que l'Italie du Nord ou la Suisse possédaient.
L'archéologue retrouve la trace matérielle des échanges et il sait qu'ils accompagnent toujours la diffusion des idées, des influences techniques ou culturelles, même s'il est difficile de les cerner avec précision.
LES IMPORTATIONS QUI VENAIENT DE LOINA suivre les activités de notre communauté de Charavines nous constatons que bien des produits ou des idées ne trouvaient pas leur origine dans la proche région. Le village n'était pas isolé au coeur de ses forêts, il participait comme tous ceux du Néolithique récent en Europe, aux échanges de matières premières et d'objets plus ou moins précieux nécessaires à améliorer la vie et les techniques.
Chaque village spécialisait ses productions en fonction des ressources de son environnement, de son sol et du talent de ses artisans. Les spécificités de chacun se complétaient dans une proto-économie de marché et d'échanges, qui pour n'être pas encore politiquement structurée, existait déjà dans son principe et dans le début de sa mise en oeuvre.
Contacts établis de village à village, colporteurs à longue distance sur les sentiers d'un réseau de communications peut-être lâche mais efficace sont les témoignages d'une prise de conscience de l'espace européen, de sa diversité et de ses besoins dès le début du IIIe millénaire avant J.C.LE SILEX
Le silex de la région du Grand-Pressigny en Touraine a donné lieu au Néolithique et au début de l'Age du Bronze à de très importantes exploitations de type industriel. Les grandes lames qui étaient extraites ont été exportées par centaines jusqu'en Suisse occidentale et en Allemagne du Sud-Ouest. Plus de 50 sont arrivées à Charavines pour confectionner des poignards, racloirs et pointes de flèches, car c'est une matière très pure qui se taille bien mieux que le silex local, souvent de mauvaise qualité. En outre sa belle couleur jaune ambré était-elle appréciée pour imiter le cuivre des poignards dont tous rêvaient...
LES ROCHES VERTES
Toutes les haches polies sont en roches vertes, dont certaines de composition particulière (éclogite à grenat, omphalite à rutile) n'existent que dans les massifs alpins internes sur le versant italien du Piémont et du Val d'Aoste, à l'intérieur de la zone des schistes lustrés (zone piémontaise des géologues) qui s'étend du Mont Viso au Valais suisse.Ces roches vertes se présentent en filons épais toujours facilement exploitables. En Piémont existent plusieurs ateliers de fabrication de haches polies, dans le Val Chisone en particulier, où la roche est éclatée en plaquettes épaisses qui sont ensuite dégrossies; nous ignorons si ces ébauches de lames étaient polies sur place ou exportées brutes.
Il y a un type très rare de flèche polie en roche verte, inconnu jusqu'alors dans notre région, mais qui existe à quelques exemplaires en Piémont, en Suisse méridionale, sur le lac d'Annecy et en Maurienne..
L'AMBRE
L'ambre se ramasse sous forme de galets plus ou moins gros sur les rives méridionales de la mer Baltique. Cette matière rare a fait l'objet pendant plusieurs millénaires d'un commerce entre le Nord et le monde méditerranéen antique.
A Charavines, les analyses ont prouvé que l'ambre de la perle provenait bien de la Baltique ce qui atteste pour la première fois en Europe, la plus ancienne trace de ce commerce au Néolithique.
POINÇONS DE CUIVRE ET PERLES
Au début du 3e millénaire des ateliers métallurgiques du Languedoc fabriquaient des perles et des poinçons, avec du cuivre qui contenait de l'antimoine ; la perle de Charavines a la même composition, ce qui permet de placer son origine au sud des Cévennes.De la même origine serait deux perles plates en calcite : il est fort probable qu'il y en avait d'autres mais leur petitesse n'a pas permis qu'on les reconnaisse au tamisage parmi le fumier lacustre
HACHE-MARTEAU
Ce fragile objet en serpentine n'a pas de possibilité d'utilisation très efficace : on l'a retrouvée fracturée en deux. Son tranchant ébréché montre qu'elle a servi, donc que ce n'était pas obligatoirement un symbole de prestige même si elle a parfois pu l'être.Fabriquée par les porteurs de la civilisation "Cordée" du sud-ouest de l'Allemagne ou de Suisse occidentale, c'est une importation arrivée sur les bords du lac de Paladru.
UN GRAND VASE
Le plus grand vase du site à un caractère particulier : outre sa forme, sa pâte différente de nos grands vases et sa taille (58 cm de haut), il est pourvu d'un cordon en relief sous le bord, comme le sont de nombreux récipients dans le Midi, en particulier du Languedoc. Un autre grand tesson recueilli est pourvu d'un cordon lisse enrelief.Ils ont dû venir avec la perle en cuivre ou au moins par le même courant d'échanges.
DES PETITS VASES A PÂTE SABLEUSE
La seule assiette à fond plat bien individualisé du site était en pâte sableuse très fragile et seule la fine engobe noire lustrée assez solide nous a permis de récupérer tous les tessons de ce récipient qui était entier (Pl.1 - 16) après de multiples imprégnations à l'acétate de polyvinyle. D'un autre vase en pâte sableuse et surface bien lustrée il ne fut pas possible de sauver autre chose qu'une anse rostriforme à tenon un peu plus dure (Pl.1 - 21 ).
Le vase à anse rostriforme est de la première occupation et l'assiette de la deuxième.
Je rattache ces deux vases à une importation de la zone atlantique ou fleurit l'Artenacien, profitant peut-être du courant qui nous livrait le silex pressignien ; ce courant s'est donc manifesté lors des deux occupations ce qui témoigne d'une constance pariculière sur au moins un siècle...
Des tessons qui posent problème
Un fragment de bord d'un grand vase cylindrique possède un cordon horizontal "denté"sous le rebord (Pl. 20 - 1). Peut-on le rattacher aussi au Languedoc ?Plusieurs tessons dont un très petit morceau d'un bord de bol (?) présentent une décoration de traits pointillés sur pâte fraiche. D'autres, toujours aussi petits ont la même décoration (Pl. 1 - 18 et 19). Il n'a pas été possible de reconstituer des vases.
On ne connaît qu'un vase décoré de façon assez identique (Pl. 15 - 3) et on pense à la même origine (Civilisation de Horgen, Bocquet A. et Pétrequin P., 1984)
DES VASES QUI PARTAIENT LOIN...
Les chercheurs suisses (C. Strahm et D. Ramseyer) ont toujours remarqué que Charavines livrait une grande quantité de vases en pâte fine et bien lissée : certains sites suisse en livrait aussi mais en plus faible quantité. D. Ramseyer a mis plusieurs étudiants pour comparer la céramique des deux sites et les résultats ont été fructueux (D. Ramseyer 1984, Coll. ; C. Sturny et D. Ramseyer, 1987). Les analyses montrent des traits très voisins.
Des vases fins de Charavines ont été exportés sur le lac de Bienne en Suisse (station de Sutz "Rutte" et de Saint-Blaise)et sur le lac de Clairvaux (La Motte-aux-Magnins) dans le Jura. Tels sont les résultats d'une étude céramologique de plusieurs tessons en pâte fine (Atika Benghezal, 1994, Coll.).
Cela est surprenant mais très vraisemblable : il n'y a aucune raison que le village ait reçu des vases du Languedoc ou de Charente et n'en ait pas exporté...
L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects :
nom et année à retrouver dans la bibliographie générale,
ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif) se trouve dans
la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes
les études non publiées.