Quatre millénaire de conquête progressive des Alpes ont permis aux Alpins d'explorer toutes les possibilités d'implantation et de circulation et aussi de découvrir les richesses minérales qu'un jour ou l'autre on saura exploiter.

La mise en valeur et l'organisation territoriale vont maintenant faire un bond, prendre une dimension jusqu'alors inconnue et tendre vers une uniformisation des techniques, des traditions et probablement des substrats humains.
Après la "crise" climatique, technique et humaine de l'âge du Bronze moyen, les Alpes du Nord seront un espace fragilisé où pourront se développer sans contraintes ni opposition les influences externes et je ne disserterai pas pour savoir si les migrations ou l'acculturation seule les expliquent ; le problème est surement bien plus complexe que ne le décrivent les simplifications caricaturales dont les théoriciens se repaissent depuis 50 ans, les uns pour les déplacements massifs de population, les autres pour l'acculturation, sans oublier les influences commerciales ou culturelles. Tout est possible selon l'époque et les régions, et parfois en même temps : ce ne sont que cas d'espèce à analyser au coup par coup...

Aux XIVe et XIIe siècles, deux pôles civilisateurs européens auront suffisamment de dynamisme pour diffuser leurs emprises techno-culturelles et/ou s'implanter dans le Sud-Est de la France : l'Italie du Nord et l'Europe moyenne. Les influences méridionales ne se feront plus sentir pendant toute la fin de l'âge du Bronze.

L'histoire des Alpes du Nord sera marquée, jusqu'à l'âge du Fer, par cette dualité des influences qui favoriseront l'éclosion d'une civilisation alpine où ces sources, domaine nord-alpin et domaine italique, se retrouvent toujours mais mêlées à une bonne dose d'originalité régionale.
La multiplication des gisements archéologiques à la fin de l'âge du Bronze traduit l'accroissement du peuplement. Quelle en est la ou les causes ?
A l'amélioration climatique se joignent des facteurs humains et techniques : "gens" venus du nord-est (nombreux ou non ?), sédenta-risation permanente en village que permettent les meilleurs rendements agricoles dus à la diffusion de l'araire, de l'assolement, etc.
Une certaine uniformisation apparaît dans la vaisselle domestique et aussi dans la vaisselle fine : les mêmes décors, les mêmes formes et les mêmes évolutions se retrouveront de part et d'autre des crêtes alpines obligeant les spécialistes italiens à parler d'influences occidentales pour une certaine partie de leur matériel.

Cela traduit une unité culturelle et technique des alpins induite par le même mode de vie adapté aux contingences de la montagne et surtout par les contacts habituels et fréquents entre les terroirs reliés par les cols. Ces contacts dus au déplacement des troupeaux, à l'échange des productions agricoles ou autres, étaient facilités par un climat clément rendant plus aisée la circulation en altitude.

Témoin privilégié des changements, la céramique grossière banale et omniprésente subira des modifications de forme et de décor qui se retrouveront identiques entre plaine du Pô et couloir rhodanien. Sur le versant français, comme en Piémont, ces modifications sont difficiles à replacer chronologiquement en l'absence de stratigraphies épaisses ou de matériel exogène bien daté.

C'est la raison des incertitudes, des imprécisions typo-chronologiques de la fin de l'âge du Bronze et de la première partie de l'âge du Fer, alors qu'en Italie du Nord des séries caractéristiques proto-Golasecca et Golasecca sont associées à cette céramique d'usage, ce qui permet d'en suivre l'évolution et la chronologie précises.

UNE GRANDE MUTATION A LA FIN DE L'AGE DU BRONZE
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ARCHÉOLOGIE ET PEUPLEMENT
DES ALPES FRANCAISES DU NORD
par Aimé Bocquet
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Le cadre chronologique

J.J.Hatt partageait le Bronze final en cinq phases (B.F. I, IIa, IIb, IIIa, et IIIb).
En ce qui concerne les Alpes du Nord, dès 1976, je les avais regroupées en trois phases correspondant aux trois faciès techno-culturels majeurs reconnus dans le matériel régional dont l'âge ne pouvait pas être apprécié plus finement.
Ainsi sont nées nos phases ancienne, moyenne et récente du Bronze final alpin étant entendu que, lorsque cela est possible, le début ou la fin de la phase sont précisés. Les limites chronologiques de ce schéma ont été modifiées en 1986 pour s'ajuster aux premiers résultats dendrochro-nologiques (151) ; depuis dix ans nouvelles fouilles et analyses ont encore apporté des précisions dont il est tenu compte dans le tableau

-Le début de la phase ancienne ne correspond plus à la fin du Bronze moyen de J.J.Hatt (1250 av. J.C.) : pour moi elle débute au XIVe siècle car je lui incorpore la période de transition entre Bronze moyen/Bronze final dont j'ai parlé au chapitre précédent.
En effet c'est à ce moment que commencent la mutation techno-culturelle du Bronze final et l'essor des échanges avec l'Italie du Nord.

-La phase moyenne, regroupant le Bronze final IIb et IIIa, était comprise entre 1050 et 850 av. J.C.; en réalité sa durée fut plus courte, débutant vers -1070 pour se terminer vers -940/-930 au plus tard (152).

-La phase récente se rapporte au Bronze final IIIb que J.J.Hatt plaçait entre 850 et 725 av. J.C. ; or nous venons de voir qu'elle débute autour de -940/-930, à la fin de la phase précédente.

La phase récente se prolonge au delà de la destruction des stations littorales autrefois fixée arbitrairement vers 750 et que l'on sait aujourd'hui légèrement antérieure à -800 au lac du Bourget (à Chatillon et au Saut de la Pucelle).
Pour prendre en compte leur disparition qui fut un événement historique majeur, quel qu'en soit la cause, j'ai proposé en 1990 de scinder cette période en deux parties : une phase récente I avant 810/800 av. J.C., correspondant à la fin du Hallstatt B2 centre-européen, et une phase récente II jusqu'au Hallstatt ancien vers 700 av. J.C.
Cette bipartition du Bronze final IIIb a l'avantage de subdiviser cette période bien longue (env. 230 ans) en regard des événements sociaux, géopolitiques et économiques qui agitent l'Europe au VIIIe siècle.

Cela se traduit par la nécessité où se trouvent nos collègues italiens, suisses et allemands de partitionner la chronologie en période de moins d'un siècle pour classer des matériels qui évoluent très rapidement.

Dans l'étude des corrélations que j'ai faite en 1989 entre les importations italiques et la chronologie des Alpes du Nord, j'avais été amené à vieillir de quelques décennies le cadre chronologique italien, pour le rendre plus conforme à nos données dendrochronologiques de l'époque, ceci sur la base de la disparition des stations lacustres vers -850/840 que l'on avait parallèlisé, sans beaucoup d'arguments, avec les dates suisses.

Or les nouvelles analyses en France rajeunissent cette limite vers -814/810 et dès lors la chronologie des matériels de part et d'autre des Alpes se trouve en totale harmonie, à l'échelle de nos approximations et à quelques nuances près.
J'ai fait cette étude rectificative trop tôt !

Pourquoi l'installation sur le bords des lacs ?
Les ateliers de métallurgistes et de potiers

L'installation des ateliers près des plans d'eau, lacs ou rivières, est un phénomène qui commence en Europe moyenne : le développement des voies de communication facilite le transport des matières premières, la croissance des productions et des échanges nécessite des fabrications de masse pour la conquête de nouveaux marchés.

On a beaucoup glosé sur le rapport entre l'occupation des rives et les regressions du niveau des lacs, l'homme s'installant près de l'eau en périodes de "sécheresse". Si on ne peut nier l'avantage de disposer de terrains plats et dégagés de végétation après une baisse du niveau de l'eau, je pense que bien d'autres contingences et de raisons, comme le poids des traditions, les nécessités techniques ou politiques, interviennent dans le choix de telles implantations. Ceci outre la commodité que représentait le flottage pour rassembler le bois des constructions, il faut se rappeler que l'élaboration des bronzes demande 200 à 300 kg de bois pour obtenir un kilo d'objets finis à partir de 10 à 20 kg de minerai riche.
Celui-ci pouvant voyager facilement, il était avantageux de se rapprocher du combustible là où son transport en grande quantité était facilité par le flottage.
La cuisson des vases est tout autant gourmande en bois, c'est pourquoi les ateliers lacustres ont toujours une double vocation, métallurgique et céramique.
De plus la concentration de la production permettait la spécialisation des artisans potiers et bronziers liée à une haute technologie, sans oublier les aspects commerciaux qui pouvaient être mieux contrôlés par ceux qu'on appellera déjà des "industriels".

La chronologie des installations littorales

Les stratégies de production changent donc progressivement dès le XVe siècle en Autriche, en Allemagne méridionale ou en Bohème ainsi qu'en Italie du Nord, à la fin du Bronze moyen et au début du Bronze récent.
Dans les régions de France orientale les ateliers se mettent en place bien plus tard (153) ; ceux de Suisse occidentale (en -1107) précèdent ceux de Savoie installés trente à quarante ans après (environ -1080/-1070). On sait actuellement, d'après les ramassages et les sondages, que les centres savoyards n'atteignent probablement pas le nombre ni l'importance de leurs homologues helvétiques. Les sites des lacs Léman (rive française), d'Annecy et d'Aiguebelette ont livré moins de matériel que ceux du Bourget mais ce ne peut être dû qu'à la présence de couches plus profondes que les anciens chercheurs d'antiquités n'ont pas atteintes ou qui ont été érodées.
Moins nombreux, moins productifs, on ne sait pas, mais de toute façon les bronziers lacustres se sont trouvés en concurrence avec les producteurs locaux déjà bien organisés dès la phase ancienne du Bronze final, comme nous le verrons.

La position des stations Certains ateliers littoraux des Alpes du Nord ont été implantés sur des îles ou des presqu'îles (154), pratique rarissime en Suisse ou en Allemagne. Cette volonté de s'isoler de la terre ferme, qui complique autant la construction que les déplacements et la vie quotidienne, n'est pas fortuite et répond au besoin de s'isoler pour se protéger d'attaques éventuelles. Les artisans redoutaient certainement, à tort ou à raison, l'hostilité ou la convoitise de concurrents ou des autochtones contrairement à d'autres pays européens. C'est un fait qu'il ne faut pas négliger pour apprécier l'état de la région au début du XIe siècle.

Voir du matériel récemment découvert illustrant la mutation du XIIIe siècle av. J.-C.