PREMIÈRES DIFFUSIONS DU METAL
La diffusion
du métal chez les populations alpines suivra deux processus bien différents
: d'abord l'importation de produits finis depuis des centres de fabrication
qui ont changé au cours des siècles, puis l'élaboration
sur place, dans les Alpes, par la connaissance des procédés
métallurgiques dans des ateliers de bronziers locaux.
La première étape se termine à la fin de l'âge
du Bronze moyen et l'âge du Bronze final sera une période faste
pour la métallurgie régionale.
Au Bronze ancien comme au Bronze moyen, le métal parviendra de centres de
fabrication lointains qui arrivent à la fin de leur apogée : quand ceux-ci
voient leurs propres marchés saturés ils devront trouver, hors de la zone
directement soumise à leur emprise, des débouchés indispensables à leur survie
économique.
Ceci explique le retard relatif pris par les Alpes du Nord dans l'équipement
métallique par rapport aux régions de productions. Ces exportations de bronzes
ne s'accompagneront pas d'influences culturelles significatives, même si des
petits foyers secondaires d'extraction de minerai et de façonnage se mettent
en place sous l'égide et avec les procédés des "étrangers", au Bronze ancien
avec la Civilisation du Rhône.
Dès le début du Bronze final au contraire, la diffusion du métal sera entourée
de tout un ensemble culturel, technique et probablement humain qui se traduit
par la métallurgie, la céramique, les rites funéraires dépassant très largement
ce que laissent de simples contacts commerciaux.
Ces deux processus ne sont en rien comparables et répondent à des modalités de mise en place bien différentes : le déplacement des hommes (hors des marchands, bien sûr) n'intervient pas pour le premier mais prend une grande importance pour le second.
Jusqu'au XIVe siècle av. J.-C.,
les Alpes ont vécu avec une économie et des techniques héritées du Néolithique
et lentement mûries par l'évolution générale où l'impact campaniforme n'est
pas à négliger ne srait-ce que comme substrat psychologique et technique à
la diffusion du métal. Celui-ci est importé et s'il marque des échanges et
des contacts extérieurs, il n'a pas bouleversé les traditions mais a apporté
une simple amélioration à la vie quotidienne.
Un changement plus radical dans les mentalités, dans les activités et dans
les sociétés interviendra à partir du Bronze final.
Les
matériaux de la métallurgie : le cuivre, l'étain et... le bois
Le cuivre
Le cuivre n'est pas rare dans les Alpes et la carte
de ses gisements parle d'elle-même. Ce
sont les massifs métamorphiques internes qui en sont les mieux pourvus toutefois
certaines zones calcaires en possèdent, au Sud du lac Léman en Chablais-Faucigny,
au Sud-Est d'Annecy, autour du Buech et de Gap et dans les Baronnies. La présence
du cuivre n'implique pas forcément une exploitation de minerai cependant quelques
concordances entre gîtes minéraux et points de découvertes d'objets en bronze
ne sont pas toujours le fruit du hasard (97).
Tous les minerais de cuivre n'ont pas un égal intérêt pour le bronzier ancien
dont les techniques restaient encore assez rudimentaires; ce sont, semble-t-il,
les carbonates et les sulfures à haute concentration de métal (98)
qui ont été les premiers exploités. Nous ne pourrons connaître véritablement
l'origine du métal des objets seulement quand nous disposerons d'analyses
tant de ces objets que des divers minerais présents dans les Alpes ; actuellement
nos conclusions ne peuvent être que conjecturales.
L'étain
L'étain n'existe pas dans le domaine alpin sous quelque forme que ce soit
et son origine sera bien difficile à préciser tant qu'on ne disposera pas
d'analyses mesurant ses traces ou ses isotopes. Sa provenance peut toutefois
être approchée de manière indirecte.
Dans les Alpes, au tout début du Bronze final, la première trace accompagnant
le trafic de l'étain, indispensable autant à la métallurgie régionale qui
s'installe qu'aux pays méditerranéens, est représentée par cinq haches à talon
de type normand disséminées du Nord au Sud de la région (106).
Ce serait l'indice d'une provenance britannique par la voie de la Seine et
du couloir Saône-Rhône.
Plus tard, à la fin du Bronze final et au début de l'âge du Fer, ce n'est
plus l'Angleterre qui fournit l'étain mais la Bretagne comme l'indiquent les
haches à douille carrée ou rectangulaire (107)
toujours d'origine bretonne. La concentration de six d'entre elles, entre
le Rhône et le col du Mont-Genèvre, désigne l'axe d'un courant commercial
qui alimenterait en étain l'Italie du Nord.
Pour juger de l'importance de ces importations et de ce trafic, remarquons
que le territoire suisse a fourni seulement deux haches à douille carrée alors
que nous en avons quinze ou seize sur un espace bien plus restreint... Par
contre le Midi en est aussi très largement pourvu, vraisemblablement en rapport
avec le commerce entre l'Occident et Marseille ou les autres comptoirs grecs
dès le VIIe siècle (108).
Le bois
Tant que les quantités de métal élaboré furent
faibles, la question du combustible ne se posa pas véritablement, les
ressources locales devaient suffire.
Par contre la nécessité de grands volumes de bois a commencé
avec la production métallurgique de type "industriel", à
partir du Bronze final : c'est ce qui explique, à mon sens, l'installation
des ateliers au bord des rivières(la Saône, par exemple) et des
lacs où le flottage pouvait alimenter sans difficultés le fonctionnement
des fours. C'est le minerai qui était alors acheminé vers les
centres de raffinage et de fabrication.
Les ressources
alpines en minerais et l'archéologie
A l'âge
du cuivre
En Tarentaise près des gîtes cuprifères de Macot, Pesey, Saint-Bon
et Champagny se placent les sépultures de Fontaine-le-Puits qui ont pour origine,
on l'a vu, la civilisation chalcolithique de Remedello qui a fleurit en Lombardie
au IIIe millénaire ; il n'est pas impossible que les métallurgistes aient
traversé les cols à la recherche de nouveaux gisements dans les massifs centraux.
A l'Ouest, les haches en cuivre d'Annecy-le-Vieux, de Sévrier et de Faverges
près du lac d'Annecy ne sont pas très éloignées des gîtes de Montmin, Saint-Ferréol
et Ugine. Une autre à Saint-Pierre-d'Albigny dans la Combe de Savoie est proche
de ceux de la région d'Albertville et d'Aiguebelle.
Dans les Hautes-Alpes la hache de Ribiers (99),
sur la Durance, est à 25km en aval du cuivre gris de Remollon. Remarquons
que j'ai cité toutes les haches (sauf une) en cuivre connues dans l'avant-pays
et qu'elles ne sont pas éloignées de gîtes de cuivre exploitable ; pourtant
la plupart des pièces sont à forte teneur en argent donc fabriquées à partir
de minerais extérieurs aux Alpes, comme on l'a vu ; les prospecteurs, si prospecteurs
il y a, n'auraient pas encore été métallurgistes... De le même façon le dolmen
de La Bâtie-Neuve, Hautes-Alpes, avec ses perles de cuivre et son mobilier
à saveur languedocienne, est bien voisin des filons du dôme de Remollon, d'Avançon
ou de Théus.
A l'âge du Bronze ancien
Au Bronze ancien, la civilisation du Rhône a exploité activement les
mines de cuivre du Valais et dans les Alpes françaises il est intéressant
de constater que plusieurs objets issus de cette civilisation sont groupés
dans la haute vallée de l'Isère.
Il semble donc très possible que les Valaisans aient ouvert quelques uns des
gisements cuprifères de la Tarentaise à partir des cols du Grand et du Petit
Saint-Bernard. La Maurienne possède des sites mais pas de matériel métallique
(100) : ses gisements
de cuivre sont formés de chalcopyrite dont le traitement difficile ne sera
connu que plus tard, au Bronze final.
Plus au Sud, cette civilisation se trouve bien représentée aussi dans les
Hautes-Alpes, en particulier dans la vallée du Buëch, de la Durance et de
la haute Drôme, ainsi que dans les Baronnies. Pour ces régions, pratiquement
toutes les découvertes archéologiques (que nous verrons plus loin) sont proches
de gisements de cuivre (101).
Dans la haute vallée de la Durance, l'exemple de Champcella avec plusieurs
sépultures de riches et importants personnages, à côté de gîtes de minerai,
est tout à fait éloquent. (voir les cartes des
gîtes de cuivre et des objets)
L'exploitation des mines de cuivre de Saint-Véran en Queyras (102)
est datée par des tessons du Bronze ancien-moyen trouvé dans l'habitat voisin
de Pinilières, mais cette zone, très en altitude, n'a pas fourni d'objets
de bronze : mis à part l'exploitation minière, il ne devait
pas y avoir d'habitat permanent.
A l'âge du Bronze moyen
Il n'existe pas d'objets fabriqués dans les zones alpines et rien ne permet
d'affirmer une quelconque exploitation minière. Tous les bronzes sont encore
importés (voir plus loin).
A l'âge
du Bronze final
Au début du Bronze final, une densité particulière de vestiges touche la basse
vallée de l'Arve, le Faucigny et le Chablais, ce qui n'est peut-être pas sans
rapport avec le cuivre de Bellevaux, Reyvroz, Sixt, Onnion, le Biot, etc.
Au cours du Bronze final certains des nombreux filons de Tarentaise et de
Maurienne ont dû être exploités (103)
: ceux du massif des Sept-Laux (104)
ont-ils fourni une partie du cuivre des dépôts de Goncelin, d'Albertville
(105), de Thénésol et
des haches issues de la métallurgie locale malgré la présence, à cette
époque, de lingots italiques ? Il y a une densité particulière des
dépôts du XIe siècle dans la Combe de Savoie et au Nord du Grésivaudan.
Au Sud, dans les Hautes-Alpes l'abondance des dépôts d'altitude dont les caractères
très originaux les font attribuer avec certitude à une production locale,
sont très certainement en rapport avec les richesses en minerai de la région,
même si ce n'est pas la seule raison de leur présence.
A l'âge
du Fer
Aux âges du Fer, l'occupation des hautes vallées alpines est intense. Les
vestiges proviennent de l'abondant mobilier des tombes plates caractéristiques
des Alpes parmi lequel la typologie nous permet de retrouver des groupes correspondant
aux grandes vallées de pénétration: groupe de la Tarentaise-Maurienne, groupe
de Rochefort-Oisans et pour les Hautes-Alpes, groupe du Haut-Drac (Champsaur),
groupe de la moyenne Durance, groupe de la Haute-Durance, groupe du Queyras-Ubaye.
Dans chacune de ces régions le cuivre est toujours abondant ce qui peut expliquer
pourquoi les habitants des Alpes internes sont restés bronziers, voulant ignorer
la nouveauté de la métallurgie du fer jusqu'à l'arrivée des Romains.
Il est évident que certaines productions de bronze de l'avant-pays ont dû
avoir recours aux cuivres alpins mais analyses et études approfondies manquent
pour l'attester avec certitude.