Comme
je l'ai dit, les périodes typo-chronologiques sont des cadres commodes pour
classer nos connaissances mais trop rigides pour correspondre aux réalités
historiques et humaines contemporaines sur un très vaste territoire.
La transition entre âge du Bronze et âge du Fer doit être traitée, comme le
préconisait J.P. Millotte, d'abord en fonction de l'archéologie régionale
avant d'être considérée sur une plus large échelle ; ce sera notre angle de
vue laissant à d'autres le soin d'incorporer les processus évolutifs
alpins à l'intérieur de synthèses géographiquement plus vastes.
C'est pour cela que j'ai séparé ainsi les ensembles chrono-typologiques au cours de l'âge du Fer dans les Alpes du Nord, après les dernières persistances de l'âge du Bronze au VIIIe siècle, ensembles directement influencés par les évènements géopolitiques européens :
Première période : les VIIe et VIe siècles qui correspondent au Hallstatt final et à la Tène ancienne I, pendant laquelle le courant hallstattien s'est installé puis développé et que la civilisation villanovienne fleurit en Italie.
Deuxième période : les Ve et IVe siècles qui correspondent à la Tène ancienne II et III, ont vu les premières manifestations gauloises sans véritables instal-lations définitives. Ce qui correspond à l'occupation gauloise du nord de l'Italie de -390 à -220.
Troisième période : les IIIe, IIe Ier siècles qui correspondent à la Tène moyenne et finale, où les Gaulois, et en particulier les Allobroges, ont pris possession du territoire, l'ont organisé et mis en valeur en attendant la conquête de la Gaule non encore romanisée, comme les Alpes du Nord, par César.
Ceci, bien sûr, dans les grandes lignes pour mieux établir la synthèse historique.
Les bouleversements géo-politiques dûs aux premières grandes invasions
J'ai exposé plus haut
ma conception sur la déstabilisation des populations alpines par des actions
violentes (combats entre "princes" ou autres, raids rapides et sans lendemain
de Hallstattiens...) à partir de la fin du IXe siècle, qui auraient visé à
la destruction des centres industriels, source de puissance économique et
de cohésion sociale d'une population dont certains pouvaient craindre une
résistance à leurs projets de domination, de conquête ou à leur commerce :
la mainmise des premiers Celtes sur une grande partie du territoire de l'Europe
occidentale, aux VIIe/VIe siècles, démontre assez leurs intentions.
Le dernier millénaire av. J.C. verra en effet de grands bouleversements dans
les Alpes en rapport direct avec les événements européens liés à l'expansion
hallstattienne puis gauloise.
Contrairement aux paysans sédentaires implantés au Bronze final, ces peuples étaient nomades, parfois belliqueux ; ils pratiquaient une économie pastorale et utilisaient largement le cheval alors que celui-ci n'était qu'un symbole de prestige à la période précédente.
Peu à peu vont se trouver
en présence, se heurter ou s'affronter, deux modes de vie bien différents
: l'agriculture sédentaire héritée des millénaires antérieurs est opposée
à l'élevage nomade par des cavaliers qui affectionneront les terres herbeuses
et de relief adouci.
Cette opposition économique se traduira aussi par des comportements sociaux
et politiques différents qui transparaîtront dans les Alpes du Nord. Surtout
dans la partie septentrionale de l'avant-pays, la densité du peuplement semble
diminuer aux VIIIe/VIIe siècles, car les sédentaires ont abandonné
leurs maisons et fui leurs terres. En plus la précarité de l'habitat des nomades
laisse peu de vestiges d'où un semblant de vide archéologique.
Mais la population nomade
a dû aussi être inférieure ennombre :
les ethnologues en Afrique ont bien étudié chez les paysans cette constante
qu'il n'est de "richesse que d'homme" car il faut des bras pour travailler
la terre ; par contre chez les pasteurs le comportement est différent, les
pâturages ne permettant qu'un troupeau limité donc un nombre restreint d'individus.
C'est pourquoi un éleveur sait aligner son taux de fécondité sur celui de
son cheptel, phénomène qui disparaît quand il se sédentarise ou s'incorpore
dans une société agricole.
Un nouveau changement climatique majeur
Nous avons déjà parlé
de la péjoration climatique qui commence au début du VIIIe siècle (Goeschen
I A) après quelques siècles de chaleur et de sec au Bronze final.
Elle ne dure pas car une rémission s'installe vers 650 av. J.C. (271)
qui correspond à la forte expansion du peuplement et des richesses dans les
mas-
sifs internes ; cette petite amélioration a sans doute eu une influence béné-
fique sur les ressources des montagnards et la durée de l'ouverture des cols.
Puis le climat se dégrade à nouveau un siècle plus tard (Goeschen I B), au
moment de l'abandon de l'utilisation des grands cols au profit de la voie
du Rhône vers Marseille, comme nous le verrons plus loin. Les deux phénomènes,
climat et modification des axes de transit, sont-ils liés ?
L'originalité de la civilisation
alpine à l'intérieur des massifs internes
Archéologiquement la différence est nette entre l'avant-pays (piedmont et
massifs préalpins) où les matériels ou les rites des arrivants préceltiques
et celtiques se diffusent parmi les indigènes et les massifs internes qui
acquièrent des caractéristiques spécifiques où ces influences sont mineures,
formant le début de la civilisation alpine.
Voici quelques constantes propres aux Alpins des massifs internes tout au
long de l'âge du Fer.
- Les tombes sont des inhumations plates entourées de petites dalles ou de
gros galets souvent remplies par de volumineux cailloux (272),
ceci de la Savoie à l'Ubaye comme sur le versant italique des Alpes. Des corps,
parés parfois de centaines de bracelets et de perles d'ambre, étalent une
magnificence et une richesse jamais vues jusqu'alors. Cette richesse subira
des fluctuations, dans le temps comme dans l'espace suivant les régions, en
rapport avec les mouvements géopolitiques européens et les évolutions locales
comme on le verra.
- La métallurgie et l'usage du fer sont inconnus dans les Alpes internes et
les rares objets de ce métal sont de types hallstattiens ou gaulois donc toujours
importés ; par contre la métallurgie du bronze est florissante, originale
et de bonne qualité, chaque vallée ayant ses propres goûts donc ses propres
productions.
- Parmi des milliers d'objets aucune arme n'existe à l'est du Sillon alpin
tant en Savoie qu'en Dauphiné ; c'est assez extraordinaire à des périodes
que l'on suppose agitées mais les Alpins en avaient-ils besoin, protégés par
le relief et la répulsion que celui-ci devait inspirer aux gens des plaines
? Ceci n'a pourtant pas empêché la résistance opposée à Hannibal décrite par
les historiens antiques; la défense du territoire et des passages obligés
en montagne a dû être assurée par des moyens simples mais efficaces.
NAISSANCE
DE L'INDÉPENDANCE ALPINE AUX ÂGES DU FER
Un monde nouveau se met en place chez les paysans de l'âge du Bronze