Une région un
peu abandonnée au Bronze moyen
Des analyses effectuées sur des sédiments extraits à
Conjux, sur les rives du lac du Bourget, montrent "qu'après le Néolithique
final/Bronze ancien la région est pratiquement abandonnée; seules quelques
traces venues d'une présence humaine lointaine sont décelables" d'après M.Magny
et H.Richard. La cluse de Chambéry, pourtant particulièrement propice à la
culture, est désertée.
Une brève et sévère péjoration
climatique
Entre les XVIIe et XVe siècles av. J.-C. un épisode de dégradation climatique
apparaît dans les diagrammes polliniques de Seyssinet-Pariset
près de Grenoble, correspondant à un niveau argileux varvé de ruissellement
daté de 1540 BC ; cela se traduit par des changements agro-pastoraux car la
culture du sarrasin remplace celle des céréales et le porc devient dominant
dans le cheptel. Cette dégradation qui affecte l'Europe se fait sentir jusque
sur les bords de la Méditerranée et elle se traduit par l'avancée des glaciers
suisses et autrichiens (stade de Loebben).
L'emprise humaine subit-elle quelque diminution au vu d'une certaine rareté
des gisements ou bien le mode de vie change-t-il au profit d'une économie
de type semi-nomade ?
Ces observations traduisent une crise environnementale au cours du Bronze
moyen, crise dont il est encore difficile d'évaluer l'impact exact sur les
activités et l'occupation. Si à Seyssinet la pression anthropique sur l'environnement
végétal ne diminue pas, par contre les pollens du lac Luitel, au pied du massif
de Belledonne à 1000m d'altitude, indiquent une moindre déforestation par
rapport aux époques antérieures donc une activité plus faible : cela traduit
peut-être aussi un déplacement vers des altitudes moins élevées.
Entre les XVIIe et XVe
siècles les mauvaises conditions climatiques, accentuées par l'effet des reliefs,
fragiliseront le peuplement dont les traditions techno-culturelles, en quelque
sorte restées inchangées depuis trois millénaires, ne sont plus aptes à en
surmonter les difficultés.
Les Alpes du Nord sont peut-être marquées par une désertification relative
mais surtout une certaine apathie technique apparaît dans le matériel archéologique,
apathie qui contraste avec l'activité et les mutations sociales qui affectent
alors l'Europe moyenne, atlantique et méditerranéenne.
Les
influences changent d'origine
Dans les Alpes du Nord on assiste au changement complet de l'origine géographique
et culturelle des bronzes. Ceux-ci proviennent maintenant d'une sphère plus
septentrionale, du Sud-Ouest de l'Allemagne, de l'Alsace ou de Suisse nord-occidentale.
La civilisation du Rhône semble disparaître tantde sa région
d'origine, le haut-Rhône (139) mais les exploitations
alpines de cuivre et les productions (?) des Hautes-Alpes ou des Baronnies
ainsi que les "aristocrates" qui les accompagnaient disparaissent aussi.
Les importations métalliques ne s'accompagnent plus de céramiques ; les vases
alpins sont des évolutions locales peu caractéristiques dans la filiation
des types du Bronze ancien (140), évolution
identique à celle constatée dans toute la zone influencée par la civilisation
du Rhône disparue.
Seul le métal (141) traduit la marque du Nord-Est
par des importations répandues dans l'avant-pays jusque dans les Hautes-Alpes
: haches à rebord de forme simple, poignards à languette et à rivets, haches
à talon de type Haguenau, épingles à corps fusiforme gravé, faucilles à bourrelet
(142).
La présence de céramique à décor excisé, du type de Saint-Vérédème, en Sud
Dauphiné, à Bésignan, signe la montée d'influences languedociennes.
L'avant-pays
Les sites attribuables avec certitude à cette époque sont peu nombreux et
reconnus pour la plupart seulement dans quelques stratigraphies de grottes
(143). On ne dispose de datations qu'à Saou
dans l'ouest du Diois (1390 BC), à Seyssinet (1540 BC) et à Injoux-Génissiat
sur le haut Rhône (1570 BC).
Des bracelets aux gravures
géométriques (144), aux extrémités effilées
ou avec de petits tampons, sont disséminés du nord au sud de notre zone.
Ceux-ci (145) semblent faire partie de productions
standardisées, issues probablement du Bade-Wurtemberg ou d'Alsace, et destinées
à
l'exportation puisque le Sud-Est de la France, en particulier le
Languedoc, est abondamment pourvu (146) de
pièces tout à fait iden-
tiques tant pour la forme que pour les décors.
La plupart des objets
métalliques correspondent à des fabrica-
tions tardives dans le domaine germanique, comme cela a été le
cas au Bronze ancien pour ceux de la Civilisation du Rhône. Ces
objets sont toujours utilitaires : outils ou parures. L'absence des
armes concorderait avec la disparition ou l'effacement de la classe "aristocratique"
que j'ai déjà évoquée.
Si cela s'avérait exact et l'hypothèse est plausible, le phénomène serait
révélateur d'un affaiblissement ou de la disparition de la hiérarchie locale
; ce changement dans la société irait de pair avec une absence de dynamisme
surtout constaté au début du Bronze moyen, car vers le XIVe siècle apparais-sent
des signes de "reprise" (Voir les
découvertes récentes de cette période).
Ainsi le dépôt de Porcieu-Amblagnieu dans le nord de l'Isère, sur le Rhône,
composé de haches assez originales pour avoir été individualisées en type
éponyme, de bracelets, d'épingles s'accompagne d'outils de bronzier (147)
montrant le début du façonnage local du bronze ; l'Europe moyenne n'exporte
donc plus seulement ses productions mais aussi ses artisans.
Certaines haches à rebords, en particulier celles qui sont massives et peu
galbées, pourraient être issues de ces ateliers ambulants (147b).
Une ère nouvelle dans les processus de production et de diffusion du métal
dans les Alpes commence.
La position des dépôts (148) rassemblés dans
le nord de la région incite à la réflexion ; c'est là que se concentrent les
spécialistes aptes à transmettre sur place des techniques et des savoir-faire
que les Alpins sauront vite assimiler et mettre à profit dans leurs fabrications
régionales dès les XIVe/XIIIe siècles comme nous le verrons.
Les massifs internes
La Maurienne et la basse vallée de l'Arc ainsi que la Tarentaise sont maintenant
désenclavées à partir du Sillon alpin (149)
mais la zone interne des Alpes, tant en Savoie qu'en Dauphiné, semble un peu
en marge du courant de diffusion du métal au Bronze moyen comme le montre
la rareté des vestiges.
Les rites funéraires
Le Bronze moyen est très pauvre en restes funéraires sûrs : une tombe plate
à Oyeu, des inhumations en fissure de rocher à Parmilieu et à Cessieu en Nord-Dauphiné
et des inhumations multiples en grotte avec un riche mobilier funéraire à
Saint-Paul-de-Varces (150). La diffusion du
rite de l'inhumation tumulaire, habituel dans le Nord-Est de la France, ne
dépasse pas le Jura méridional ; les Alpes poursuivent des traditions funéraires
propres où a disparu l'usage des ossuaires collectifs utilisés jusqu'à la
fin du Bronze ancien et totalement abandonnés par la suite.
Des changements majeurs
vont intervenir
dans le peuplement
et les techniques
Une monde se termine pour laisser place aux grands changements commencés
au Bronze final. Que de chemin parcouru depuis le moment où quelques tribus
de la fin du Mésolithique pourchassaient le gibier et tentaient leurs premiers
essais agricoles ! L'outillage de pierre a été diversifié et adapté aux tâches
nouvelles comme la maîtrise du bois, la coupe des céréales ; l'habitat est
devenu confortable par des constructions en bois solides et durables. L'alimentation
s'est diversifiée en alliant chasse et élevage, cueillette et culture, avec
des conséquences biologiques induisant une meilleure résistance aux carences
et aux maladies. La culture et l'élevage ont atténué, peut-être même effacé,
les disettes et la sous-alimentation hivernale permettant la conquête de la
haute montagne.
Des ustensiles, des outils nouveaux, le textile ont amélioré les conditions de vie. Idées, tours de main et connaissances se sont échangés de plus en plus entre communautés régionales et à longue distance. Une profonde pénétration du territoire alpin a permis de découvrir des richesses minérales qu'un jour ou l'autre on saura exploiter et aussi d'explorer toutes les possibilités de circulation. Beaucoup de toponymes sont, d'après les spécialistes, antérieurs aux Indo-Européens, prouvant une totale connaissance du terrain dès ces époques reculées.
Poignard, hache à rebord
hache à talon.
St Chef et Crémieu, Isère.