L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects :
nom et année à retrouver dans la bibliographie générale,
ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif) se trouve dans
la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes
les études non publiées.
1
- Validité des dates dendrochronologiques proposées
Nous avons vu que les dates du premier village ne posent pas de problèmes,
que les plans qui en résultent sont parfaitement crédibles par
leur régularité, leur homogénéité et leur
cohérence avec les répartitions d'objets : elles n'ont posé
aucune difficulté d'interprétation.
La datation des feuillus par Archéolabs a été difficile
; elle est méritoire et elle reste intéressante et utile mais
d'une exploitation difficile pour les raisons suivantes :
la proportion d'indétermination (473 sur 732) est encore trop importante
et on peut considérer les analyses positives comme un échantillonnage
aléatoire des espèces autres que le sapin. En effet seule la
datation, si elle est vraiment exacte, sur la totalité du corpus est
en mesure de donner de bons résultats : l'exemple sur les sapins du
premier village est démonstratif de cette fiabilité quand pratiquement
tous sont datés (16 non datés sur 618 au total dont 375 de la
première occupation).
La difficulté de dater, donc de corréler le mélange des
espèces utilisées pour le deuxième village perturbe gravement
les résultats et on a quelques raisons de croire que des dates sont
inexactes.
Ces exemples montrent des anomalies qui permettent de sérieux doutes
:
Les chapes foyères et les ormes (Fig.
32 et 52) :
- une petite structure de sept pieux datés de 42, 43 et 44 pour six
ormes et de 42 pour un érable, au nord-est du site entoure exactement
les épaisses chapes foyères superposées n° 4 établies
au cours des deux villages (avec un fort niveau de limon intermédiaire
de la période d'abandon et il n'y a aucune trace d'occupation antérieure
au premier village)
- la chape n°5 homogène de la fin de la deuxième occupation
comporte aussi sept pieux dont cinq ormes de 39, 40, 44 et 50 et deux érables
de 44.
- la chape n°9 a trois ormes de 46 contre la masse d'argile retenue par
deux planches mises en place lors de la première occupation.
- par contre, la chape n°1 concernant les deux occupations, est incluse
dans un quadrilatère de quatre ormes datés de 59 que l'on pourrait
croire avoir été plantés lors de la deuxième occupation.
Cela me paraît difficile à croire car il aurait fallu leur faire
traverser la couche inférieure contenant argile et pierres de chauffe,
le long de planches verticales encore en place sans en modifier l'agencement,
ce qui n'a pas été constaté à la fouille : pour
moi l'agencement des quatre ormes s'est bien fait lors du premier village
donc ils ne sont pas de l'an 59 mais des ans 1 ou 2.
Cette disposition d'ormes autour des foyers avaient depuis longtemps attiré
notre attention et aujourd'hui, il n'y a pas de concordance entre les chapes
et la date des ormes et de quelques érables. Selon toute vraisemblance
ces ormes datent de la première occupation et on ne peut admettre qu'ils
soient de la période d'abandon : sur un total de 50 ormes datés,
au moins 13 sont disposés autour de chapes. Ce n'est pas une coïncidence
les ormes ne sont donc pas tous bien datés.
- quatre pieux en sapin analysés de la palissade du premier village
sont datés de l'an 5 (Fig. 42), ce
qui est conforme avec la mise en place d'une clôture. Par contre les
cinq pieux de sapin de la palissade analysés du deuxième village
sont datés de 56, 58 et 59 : trois ans pour planter la clôture
ne semble pas très normal
- une petite structure rectangulaire en sapin (Fig.
52-1), parfaitement construite et régulière au sud (maison
25), avec des pieux datés majoritairement de 64 mélange un pieu
de 57 et un de 61. Une autre, voisine, avec des dates de 64 possède
aussi un pieu de 60, deux de 61 et un de 63. A l'est de celle-ci, une autre
aligne des pieux de 60, 61 et 63.
Comme on a toujours admis que les troncs n'ont jamais été plantés
plus d'un an après l'abattage (l'écorce est toujours bien conservée),
la datation des sapins n'est pas aussi homogène que dans le premier
village.
- en 1993, le laboratoire nous avait fourni des séquences de feuillus
qui présentaient les mê-mes caractères de courbes mais
ne pouvaient pas être corrélées en absolu. Par exemple
la séquence flottante FR 94 24 du frêne (avec laquelle nous avions
proposé un plan approximatif) est aujourd'hui datée de 57 à
63 et celle de FR 94 25 va de 59 à 61. Les critères de corrélation
semblent avoir été modifiés en 2003.
- Les pieux 838 et 842 proviennent du même tronc de frêne éclaté
en deux mais sont datés respectivement de 60 et 61 !
Il est donc permis d'avoir quelques doutes sur la fiabilité de certains résultats, quelque soit la cause des écarts (mesures ou nature du bois), en particulier celle des ormes où la variabilité est la plus grande, les dates de frênes semblant un peu plus homogènes si on regroupe quelques années (2 à 3 ans) comme on le verra dans le plan des structures.
2
- Datation des pieux
Il faudra considérer nos conclusions et nos histogrammes avec prudence
pour les raisons que nous venons de voir mais pour les établir, nous
partons du principe qu'elles sont exactes. Les données sont les suivantes
: 233 pieux de sapins et 161 pieux de frêne datés
Le sapin et les feuillus (Fig. 54) :
Dès le début des analyses en 1974 et 1975, C. Orcel a constaté
des croissances souvent " anarchiques " sur les sapins de cette
période entraînant des difficultés de datation. En outre
sur 501 pieux de feuillus, seuls 258 ont été datés ce
qui accentue aujourd'hui les difficultés.
Peu de sapins et beaucoup de frênes ont des dates d'abattage dans les
années 58, 59, 60 et 61 du site (2611, 2610, 2609 et 2608 av. J.-C.)
pour une première phase de construction ; dans une phase ultérieure,
en 63/64 (-2606/05), le sapin est très utilisé. Une petite phase
d'aménagements est active en l'an 71 (-2598) avec utilisation de sapin
et de frêne. L'abandon du site a lieu après l'an 77 (-2592).
Il existerait donc une grande différence entre les deux phases de construction
: une première entre 59 et 61 utilisant beaucoup de frêne, un
peu moins de sapin et très peu d'orme alors qu'une deuxième
en 63 et 64 aurait beaucoup de sapins. Cette différence pourrait être
due à une carence dans les datations de feuillus car les structures
reconnues de la phase de l'an 64, préparée en 63 et continuée
en 65, sont aussi entourées de pieux non datés.
Comme lors de la première occupation, on serait en présence
du même schéma de construc-tion en plusieurs étapes :
une phase d'installation en 59 utilisant des troncs abattus en 58 et 59 et
une autre phase en 61 avec des troncs coupés en 60 et 61. Ensuite 50
sapins abattus en l'an 64 et 65 édifient des maisons au sud du village,
au-dessus de la palissade.
Entre ces périodes, où les abattages furent nombreux, quelques
pieux coupés marquent des réparations ou des aménagements
localisés.
Quatre sapins sont encore plantés en 72, 73 et 74 ; on situe l'abandon
peu après 74 malgré la présence d'un frêne qui
aurait été coupé en 84, ce qui nous semble une erreur
d'analyse.
3
- Les constructions
Déjà en 1986 et en 1993, donc avant la datation des feuillus,
j'avais tenté de compléter les sapins avec des frênes
dont la position permettait de proposer des structures ; ce sont ces plans
qu'a utilisé Claire Tardieu (1999 et 2000) dans son travail sur les
répartitions spatiales (Fig. 55).
Ce plan s'avère aujourd'hui peu valable et les propositions de C. Tardieu
sont mal confir-mées, ce qui traduit le peu de fiabilité que
peut avoir une modélisation théorique, même la mieux élaborée
(elle était fondée sur les résultats plus concrets de
la première occupation). La datation des feuillus, les plans de répartition
des vestiges et les observations de fouilles, m'ont permis d'établir
des plans assez satisfaisants même s'ils sont probablement incomplets
et comportent une part d'hypothèses.
En effet en
2004, le laboratoire Archéolabs a daté 257 feuillus (frênes,
ormes et érables dont 88 sont attribués à une période
intermédiaire entre les deux occupations, (cf. plus loin) sur les 501
existants.
Avec 181 feuillus et 233 sapins datés pour retrouver les structures
du deuxième village on se heurte à des difficultés :
les documents fournis sont peu lisibles (Fig.
56) et le tri par années ne correspond pas à la réalité
des constructions.
J'ai donc repris nos relevés d'origine dont les 500 pieux ont été
marqués de leur date et de leur essence (Fig.
57). Puis, comme il y a 20 ans, j'ai utilisé la méthode
qui se base sur les sapins et cherche des cohérences avec les feuillus
datés ou non, en me servant plus particulièrement des séquences
flottantes de frênes définies avant 1993 par Archéolabs.
La position, l'importance et la période de mise en place des chapes
(zones foyères principales ou faible épanchement d'argile),
les répartitions des éclats de silex , des microdenticulés
(éléments montrent des effets de parois ) et des dépôts
de pierres de chauffe (quartzites cassés) sont prises en compte pour
atteindre un maximum de vraisemblance (Fig. 58
et 59). De plus, nous ne saurons rien, bien
sûr, des pieux manifestement manquants pour compléter des structures
supposées : en effet, on a parfois constaté à la fouille,
la présence de pieux très peu enfoncés dans les couches
et certains ont pu disparaître au cours des siècles.
Je reste pourtant conscient des hypothèses contenues dans mes propositions
d'organisation du deuxième village et, après bien des réflexions,
le parti adopté me semble concilier les différents paramètres
: dans l'état actuel des techniques et des recherches, on ne peut pas
faire mieux (fig. 60).
4
- Déplacements des maisons vers le sud (Fig.
61)
J'ai démontré dans d'autres publications, que l'abandon de ce
village avait été brutal et définitif : les analyses
isotopiques O16/O18 (voir plus loin) montrent que l'humidité, au début
peu supérieure à celle de la première occupation, s'accroît
très fortement dès l'an 64 du site, ce qui a dû se traduire
par une élévation du niveau du lac ou des inondations plus fréquentes
et plus grande amplitude.
Probablement pour y pallier, en 64/65, de nouvelles structures sont édifiées
au sud dans la zone la plus élevée du site (voir Fig.
6 A) ; les maisons les plus méridionales s'installent tout contre
la palissade construite cinq ans plutôt... C'est dire que les conditions
d'habitat avaient changé.
5
- Les plans et l'évolution des constructions dans le village
années 58/59 : première phase de construction
(Fig. 62)
Quelques arbres sont datés de 57, soit un an avant la première
grande série d'abattages de 58 et 59 à laquelle nous les rattachons.
- la grande maison 22 A avec foyer (chape 1 mise en place dès le début
de l'occupation et qui durera durant toute la vie du village) et des pieux
d'essences variées des années 58 et 59 possède une vraie
chronologie de construction : le corps du bâtiment, construit en 58/59,
a été agrandi à l'ouest en 60/61 avec création
d'une nouvelle chape d'argile (chape 8) qui sera un temps abandonnée
puis réutilisée jusqu'à la fin du village.
- à l'est, la maison 21 B, carrée avec un grand foyer central
(chape 2 en place depuis le début jusqu'à la fin de l'occupation)
possède une majorité de pieux coupés en 60 et 61 avec
deux de 58 ; il est fort probable qu'elle est de 58/59 en conformité
avec la chape. Le plan que nous proposons nous semble trop petit par rapport
à l'importance de cette chape mais il n'y a pas d'autres pieux à
lui rattacher : un certain nombre aurait donc disparu, ce qui est possible
comme on le verra plus loin.
- au sud-est la maison 22 B est constituée théoriquement de
troncs abattus en 60/61 puisqu'ils sont les plus nombreux ; mais avec la chape
6 qui date du tout début de l'occupation cela veut dire que la maison
serait en réalité de 58/59 mettant en cause les dates de 60/61
données par le laboratoire.
- cette maison serait restée en place jusqu'à la fin avec changement
de position du foyer : la chape 5 plus récente que la chape 6.
- entre ces maisons prennent place trois petits édifices quadrangulaires
avec des pieux coupés en 59 : S 1, S 2 et S 3, vraisemblablement des
" greniers ".
- la palissade date de cette phase.
années
60/61 : deuxième phase de construction (Fig.
63)
- Une maison 21 A (en partie maison 21 identifiée en 1993) au nord-ouest
avec la chape 3 est bâtie avec des sapins et frênes de 60 complétés
par quelques autres de 58, 59 et des non datés. La chape, déposée
quelques années après le début de l'occupation, précise
qu'elle fut édifiée à la deuxième phase de construction.
- Au nord-est, la maison 21 C, avec la chape foyère 4, a été
édifiée avec des pieux de 60, 61 et quelques uns de 58/59 ;
placée en bord de fouilles, elle est incomplète. La chape 4,
constituée après le début de l'occupation, atteste bien
que la maison a été édifiée postérieurement,
de quelques années, à l'arrivée des hommes, donc d'une
deuxième phase de construction.
- Nous avons vu que la maison 22 A a été modifiée en
60/61 avec création d'une nouvelle zone foyère dans d'agrandissement.
- Les " greniers " S 2 et S 1 ont reçu de nouveaux pieux
en 60/61.
années
64/65 : troisième phase de construction (Fig.
64)
Dans le centre, le grenier S 3 est reconstruit un peu décalé
mais de même forme et de même dimension, en 64/65.
Au sud du site, dans une zone non fouillée où seuls les pieux
ont été dégagés pour prise d'échantillons,
on reconnaît trois structures rectangulaires de plan régulier
: deux édifiées en 64 (Maisons 24 et 25) et une en 65 (Maison
26).
années
70/71: dernière phase de construction (Fig.
65)
- La maison 23, incomplète vers l'est, autour de la chape 7 mise en
place très tardivement, rassemble des arbres d'essences variées
de 70, 71 et 72 ; ce sera la dernière construction.
- Les chapes 3, 4 et 5 (Fig. 63) ont été recouvertes de sédiments
ce qui témoigne de leur abandon : les maisons 21 A, 21 C et 22 B n'existaient
donc plus à la fin de l'occupation alors que les autres devaient encore
être utilisées. On ne sait rien sur la durée des greniers
si ce n'est que le S 2 a été reconstruit en 64.
En
résumé :
Seule la grande maison 21 A est tout à fait semblable à
celles du premier village et c'est la première construite, en deux
étapes distinctes faciles à discerner. La disposition des édifices
des uns par rapport aux autres est différente :
- si les surfaces des édifices paraît, plus variable que celles
de la première occupation, la raison peut se trouver dans nos erreurs
d'interprétation.
- les maisons 21 A et 22 A comme celles 21 C et 22 B sont séparées
par des ruelles
- une cour centrale existe entre les maisons 22 A, 21 C et 22 B ; cette cour
a été close au sud par les constructions de 64/65.
La disposition intérieure, souvent irrégulière, est à
deux et à trois nefs mais je n'ai pas pu mettre en évidence
des auvents comme dans le premier village : le plan des maisons est trop incertain
sauf pour 21 A et 22 A.
Dans nos propositions de plans des structures du deuxième village : les maisons 21 A et 22 A ont été les plus faciles à déterminer et ce sont celles dont les dimensions, la forme et l'âge sont les plus assurés. Les autres, dont l'existence est attestée par la présence de chapes foyères, leur morphologie relève souvent de l'hypothèse et de l'approximation. Nous verrons plus loin que cette opinion est confortée par d'autres preuves.
6
- Hypothèses sur l'architecture des constructions
On constate, par rapport aux structures de la première occupation,
une relative anarchie dans la disposition des pieux : pas d'alignements précis,
bois intermédiaires nombreux, diamètres variés et emploi
privilégié du frêne avant l'an 64. Après cette
date le sapin est mieux représenté ce qui se traduit par des
plans plus nets, plus faciles à établir.
On pourrait penser qu'un niveau trop variable du lac aurait obligé
d'avoir recours à des maisons au plancher surélevé mais
les chapes foyères ou une couche d'écorces entrecroisées
reposant directement sur le sol ne concordent pas avec cette hypothèse.
La répartition spatiale des éclats de silex et des céramiques
présentent des regroupements très denses semblables à
ceux du premier village : ils n'auraient pas été conservés
lors de la destruction de maisons à plancher surélevé.
Cette hypothèse n'est pas soutenable.
Lors de l'arrivée
en l'an 58 les occupants ont profité des chapes foyères encore
bien visibles (voir les coupes stratigraphiques). Ils ont trouvé un
terrain moins meuble, couvert de limon durci et contenant des restes anthropiques
: couche végétale d'occupation, de galets, meules, accumulation
de pierres de chauffe (tènevière), tas de détritus (céramiques,
os, etc.) (voir Fig. 66) la répartition
des quartzites cassés). La craie lacustre pure n'était pas suffisamment
accessible pour y planter facilement les pieux par effet tixotropique et la
fouille n'a jamais mis en évidence des trous creusés pour les
recevoir. Beaucoup ne purent pas être enfoncés profondément
et pour stabiliser les structures il a été nécessaire
de multiplier les poteaux, souvent de les doubler et de les contrebuter en
tous sens, ce qui explique le nombre très élevé des troncs
qui accompagnent suivent les alignements formés par ce que nous considérons
comme l'ossature principale des édifices. En outre bien des pieux ont
un très fort pendage, bien vu et mesuré à la fouille.
On peut comprendre les difficultés qui ont été rencontrées
lors de l'enfoncement des troncs quand on reporte les structures supposées
de la deuxième occupation sur le plan de répartition des pierres
de chauffe accumulées dans le premier village (Fig.
66) :
- la maison 22 A possède, parmi toutes les autres, le plan le mieux
assuré avec une forme régulière identique à celles
du premier village, des alignements nets, une évolution cohérente
dans le temps : là les quartzites sont quasiment absents de son sol.
- la maison 21 A présente des caractères très voisins
et son sol a peu de quartzites.
- plus difficile est de cerner la maison 21 B autour d'une importante chape
foyère : nous l'avons limitée à une faible surface mais
sa partie sud et ouest possède un sol très pierreux où
des pieux peu enfoncés ont pu disparaître.
- quant aux maisons 21 C et 22 B nous avons fondé nos plans avec quelques
pieux et les répartitions de silex : leur sol possède de grosses
épaisseurs de quartzites.
- la maison 23, dont seule la partie ouest est visible, possède peu
de pieux datés, son sol est libre d'obstacles et son amorce de plan
repose surtout sur les répartitions.
Nous pensons cette démonstration suffisamment explicite pour faire
comprendre l'origine de bien des difficultés tant de construction au
néolithique que d'interprétation des vestiges de pieux.
Donc totalement
différente est la technique de construction utilisée pour le
deuxième village par rapport à celle mise en uvre dans
le premier, installé sur de la craie lacustre intacte. La nature du
terrain a donc une importance majeure sur les modes d'édification des
structures de bois et les deux occupations montrent que les hommes connaissaient
les propriétés de la craie et savaient s'adapter quand ils ne
pouvaient pas les utiliser.
Le deuxième village illustre la technique qui devait être habituelle pour construire sur les terrains hétérogènes, en zone déboisée ou en clairière, où il était impossible d'enfoncer facilement des pieux sur 3 à 4 m de profondeur
7
- Héritage culturel des premiers occupants
La direction du vent dominant dans le bassin du lac de Paladru n'a pas dû
changer entre les deux occupations et l'orientation générale
des constructions est identique à celle du premier village.
Le deuxième village a-t-il suivi le même rituel de construction
que le premier ? Il n'est pas discernable dans les pieux d'organisation particulière
comme dans le tronc de frêne éclaté de l'an 2. Plusieurs
maisons ont utilisé les chapes foyères existantes et certains
pieux devaient encore apparaître à l'arrivée des hommes
: était-ce suffisant pour admettre le même rite d'installation
?
On remarquera seulement que la maison 21 B, avec son foyer déjà
existant, s'inscrit parfaitement au centre du quadrilatère de frênes
mis en place 58 ans auparavant mais elle serait bien plus petite que celle
de l'an 2, d'après les pieux retrouvés et datés.
En l'absence de témoins concrets, on dispose seulement d'une construction
parfaitement centrée dans l'ancien quadrilatère d'origine :
ce n'est probablement pas fortuit et ce serait un héritage culturel
ou cultuel chez les Néolithiques de Charavines. Cela expliquerait aussi
que les descendants aient occupé très exactement le même
emplacement alors que 200 m de plage libre pouvait les accueillir plus à
l'ouest : sur une craie lacustre vierge d'installation, il aurait été
aussi facile de planter les pieux que lors de la première arrivée
des hommes, sans être gêné par les sols pierreux du premier
village.
C'est peut-être pour des raisons ou des croyances " religieuses
" qu'ils ont préféré affronter des difficultés
supplémentaires sur un terrain " consacré " lors d'une
occupation antérieure. Si leurs convictions les obligent à revenir
exactement au même endroit au cours des différentes étapes
de leur semi-nomadisme en forêt, ce qui parfaitement possible, ils auraient
établi en 2699 av J.-C. une " ville neuve " au bord du lac
et n'y seraient revenus qu'une seule fois puisque la montée définitive
des eaux en a empêché l'accès plus tard. Cela expliquerait
la superposition constatée dans les villages néolithiques littoraux
de Suisse et du Jura alors que la place ne manque généralement
pas sur les rives.
Les habitats voisins établis sur terre ferme obéissaient-ils
aux mêmes règles ? On peut le sup-poser, ce qui expliquerait
que bien des sites néolithiques terrestres connus possèdent
plusieurs niveaux d'habitat superposés, souvent séparés
par des couches stériles d'abandon.
8
- Les bois non datés.
Il y a 489 pieux non datés (avec seulement 16 sapins) dont 76 sont
d'espèce non déterminée. Un nombre plus ou moins important
relève de la première occupation, probablement pour des aménagements
complémentaires : c'est une hypothèse encore invérifiable
car on ne dispose d'aucune date de feuillus pour le premier village.
On remarquera que 103 ont un diamètre inférieur à 9 cm,
majoritairement en aulne, frêne, hêtre et noisetier, et n'entraient
pas dans l'ossature des maisons (Fig. 32). De nombreux bois d'uvre,
l'aulne, le hêtre, le saule et le frêne, ont un diamètre
supérieur à 12 cm : ils ont dû entrer dans les structures
et on a vu les difficultés amenées par l'absence de dates. Les
bois de diamètre inférieur à 8cm ne sont jamais en sapin,
orme et érable ce qui exclut ces espèces des petits aménagements
domestiques.
D
- CONCLUSIONS SUR LES STRUCTURES
Les résultats obtenus pour le premier village sont du plus haut intérêt
et d'une grande clarté : ils témoignent de la fiabilité
et de l'exactitude des analyses dendrochronologiques. Toutefois les analyses
n'ayant pas daté les feuillus, nous avons de la première occupation
les grandes lignes architecturales mais fausse dans le détail par absence
des aménagements domestiques ou autres.
Il n'en est pas de même pour la période d'abandon où,
à mon sens, des dates proposées sont entachées d'erreurs.
En outre, étalées sur près de 20 ans avec quelques arbres
toutes les années, elles ne permettent pas d'établir de plans
cohérents : je doute tout à fait de l'existence de cette phase
d'abattage intermédiaire entre les deux occupations ou au moins à
en minimiser beaucoup l'importance telle qu'elle nous a été
fourni par le laboratoire.
Pour la deuxième occupation, les plans ont été très
difficiles à établir mais des structures vraisemblables ont
pu être mises en évidence aujourd'hui pour la première
fois avec autant d'ampleur et de cohérence. C'est un complément
très apprécié pour l'étude de ce site.
En conclusion et compte tenu des difficultés de datations, la possibilité
de maisons à plancher surélevé dans le deuxième
village n'est pas envisageable mais, comme pour le premier village, les petites
structures de type grenier, ont pu avoir des planchers surélevés
: on ne retrouve aucun effet de paroi dans leur voisinage.
Les deux villages construits sur le même emplacement à 40 ans d'intervalle présentent des analogies (forme rectangulaire des maisons, ruelles, cours, activités et vie quotidienne, etc.) mais aussi des différences dans la technique mise en oeuvre pour la construction et aussi dans les essences végétales utilisées, différence induite par la présence d'une forêt reconstituée différente de celle trouvée 60 ans plus tôt où le sapin était prépondérant.
E
- CONCLUSION SUR LA DENDROCHRONOLOGIE
Jusqu'en 1993 j'ai eu des rapports étroits avec C. Orcel lors
de la constitution de la base de données dendrochronologiques et les
résultats peu discutables obtenus pour le premier village sont le fruit
d'une amicale et efficace collaboration.
En 2002 il nous fut alloué par le Conseil Général de
l'Isère une subvention pour la datation des feuillus, ce qui nous paraissait
indispensable en particulier pour la deuxième occupation qui devait
en comporter un gros pourcentage. Archéolabs nous a fourni en décembre
2003 le résultat des analyses mais, sur 758 échantillons, 489
ne furent pas datés, soit 35% de résultats positifs : heureusement
la plupart des frênes, des ormes et des érables le furent, laissant
complètement de coté les autres essences (dont les aulnes qui
ont de forts diamètres).
J'ai expliqué les difficultés rencontrées pour l'établissement
des structures car listes et plans par années étaient fournis,
sans commentaires.
Très rapidement j'ai compris les difficultés et j'ai demandé
à deux reprises des réunions de travail avec les dendrochronologues,
mais aucune suite n'y fut donné. Ma connaissance du site et des fouilles
m'a permis de réexaminer bien des dates, de les confronter aux réalités
de terrain et de les rendre compatibles avec une logique architecturale et
chronologique, comme celle que nous avions établie pour le premier
village.
L'étude a démontré que les dates fournies ont eu leur
utilité pour arriver à des résultats intéressants,
même si elles ne sont pas toutes exactes dans l'absolu.
Je déplore que ce présent travail n'ait pas été
conduit en collaboration avec le laboratoire car ma propre interprétation
aurait pu, elle-même, être sensible à des arguments bien
étayés comme ce fut souvent le cas, autrefois, avec le fondateur
d'Archéolabs. Le laboratoire s'est conduit en simple prestataire de
service, assuré de ses certitudes et qui livre ses résultats
en les considérant comme exacts par principe : on a vu que ce n'était
pas toujours le cas. Ce n'est pas ma conception de la démarche scientifique,
éminemment pluridisciplinaire en archéologie.
S