Dans son sondage, en 1921, H. Müller avait vu deux couches qu'il décrit
sommairement et que leur contenu place au Néolithique. Nous les avons
bien retrouvées sur la plus grande partie du site et leur étude
précise a été la source de nombreuses explications paléo-ethnologiques
que nous allons voir (synthèse de la stratigraphie dans Bocquet
2005, Coll.).
La photo est très représentative du caractère général
des couches que
l'on retrouve sur tous les relevés. Au cours des fouilles, tous les
cotés
des grands triangles de 5 m ont été relevés au 1/10e
et l'absence de visibilité ne nous a jamais permis de voir plus de
1 à 2 m de longueur de coupe.
Nous n'avons eu une vue d'ensemble seulement en se rapportant aux relevés
sur papier millimétré des 65 mètres linéaires
de stratigraphies (Fig. 6 à
15).
A
- DESCRIPTION DES COUCHES (Fig.
20)
- couche A : niveau archéologique sous-jacent à la craie
lacustre moderne quand elle est présente, sur la zone la plus haute
du site ; elle ne comportait que des éléments archéologiques
minéraux (céramiques, silex, pierres de chauffe, cailloux) à
l'exclusion de tout reste organique comme le bois. Ce serait la couche qui
serait restée sur un site terrestre habituel.
- couche B.1 : niveau archéologique identique à la couche
A mais contenant, en plus, des restes organiques : feuilles, mousses, bois
et copeaux, charbons de bois, écorces, objets en bois, textiles, etc.
La fouille a rapidement montré que les couches A et B.1 ne formaient
qu'un sel niveau : la couche A n'étant que la couche B.1 délavée
par l'érosion et ayant subi le pourrissement lors de mises au sec dans
la partie le plus élevée du site, au centre du village (Fig.
6). Ailleurs cette couche archéologique supérieure contenait
des restes organiques périssables sur toute son épaisseur.
- couche B.2 : niveau limoneux, lité avec des fragments plus
ou moins grands d'écorce, incluant de nombreux troncs couchés
souvent enchevêtrés mais avec une direction dominante à
peut près nord-sud (Pl. 26). Mais
le sédiment était dépourvu de tous vestiges archéologiques.
C'est la couche intermédiaire.
- couche B.3 : niveau archéologique contenant des éléments
minéraux et en matière périssable, de même composition
que la couche B.1. C'est la couche inférieure.
- en dessous, craie lacustre pure, blanche et stérile.
Compte tenu des variations locales d'épaisseur, la couche supérieure est la plus épaisse (de 15 à 30 cm), ses restes organiques sont les mieux conservés, la couche intermédiaire va de 5 à 15 cm et la couche inférieure épaisse de 2 cm à 10 cm contient des matières périssables souvent mal conservées.
1
- Etat de conservation des couches et mode d'abandon du site
Sur le terrain la couche inférieure est visiblement moins bien conservée
que celle du deuxième village, qui possédait intacts de nombreux
restes végétaux. Elle était donc restée longtemps
à l'air libre pendant les 40 ans d'abandon du site alors que la couche
anthropique suivante avait été rapidement et définitivement
immergée. La fouille a montré la différence de conservation
(Fig. 20) retrouvée
partout sur le site: la photo en fausse couleur est démonstrative,
la couche B. 3 a ses restes végétaux plus détériorés
que la couche B.1. La couche inférieure a eu le temps de pourrir à
l'air libre pendant 40 ans alors que la supérieure a été
rapidement et définitivement couverte d'eau.
Pour une durée identique d'occupation semblable, environ 25 ans, la population et les activités furent analogues car les vestiges non périssables laissés sur le sol sont de même importance. La différence de quantité des vestiges végétaux entre les deux niveaux témoigne donc de la différence de conservation entre les deux couches.
L'os
et le bois de cerf sont généralement très mal conservés
dans les deux couches à cause de la nature particulière du terrain;
ce phénomène est observé dans les gisements submergés
où le sapin est abondant avec feuilles, branches, copeaux. Pourtant
la différence du nombre d'éléments osseux présents
dans les deux niveaux est très nette, différence identique à
celle des matières végétales ce qui traduit aussi la
dégradation plus intense de la couche inférieure.
Les tableaux sont assez explicites : on remarquera que les coquilles de noisettes
se conservent bien et qu'elles ont été très ramassées
dans le premier village, et que les pépins, bien qu'éléments
assez résistants, seraient trop faiblement représentés
si les pommes consommées étaient aussi nombreuses qu'à
la deuxième occupation.
Les comptages démontrent aussi que l'abandon du premier village est
un déménagement dans le calme car tout ce qui était utilisable
et non fracturé a été emmené : précieux
outils de silex ou de bois, manches (5 manches dans la première couche,
57 dans la couche supérieure) et gaines de hache, haches polies (seules
sept haches polies, la plupart fracturées, sont restées dans
le premier village alors qu'elles sont douze, souvent entières, lors
de l'abandon définitif), tout matériel précieux difficile
à confectionner. Alors que le départ du deuxième village
s'est passé en catastrophe puisque de nombreux objets complets ont
été laissés sur place ; on est particulièrement
frappé de voir deux poignards aux manches intacts abandonnés
sur le sol à quelques mètres de distance. Même des vases
sont encore entiers alors que dans la première couche il n'y a que
des tessons.
2 - Contenu des couches
Pierres de chauffe
La cuisson des aliments dans des vases s'effectue par l'intermédiaire
de galets de quartzite chauffés à blanc et jetés dans
l'eau. Ils transmettent la chaleur au liquide mais le choc thermique les fracture
peu à peu : au bout de plusieurs utilisations ils sont trop petits
ou trop friables pour resservir et ils sont évacués sur des
tas de dépotoir ou éparpillés dans l'habitat (Fig.
20).
Les fragments ont une longueur variable de trois à huit centimètres,
présentent des fissures d'éclatement au feu et une surface souvent
sableuse. La technique d'emploi est la même dans les deux villages :
les quartzites sont éliminés quand ils atteignent le même
degré de fragmentation. L'indice de fragmentation (rapport poids/nombre
de morceaux) est de 0,12 pour la couche inférieure et de 0,10 pour
l'autre, c'est-à-dire quasi identique (Fig.
21 D).
Ces pierres sont très inégalement réparties suivant l'emplacement
et les couches (Fig. 22 et 21
B). Toujours inclus dans les niveaux archéologiques, elles forment
des zones de forte densité (les " tènevières "
suivant la terminologie suisse), accumulation intentionnelle dans des dépotoirs
car souvent mélangées à des os et des céramiques
cassées (Fig. 23 A).
Ceux-ci sont parfois installés sur ou près des maisons abandonnées
avant la fin des occupations : la maison 1 dans le premier village, la maison
21 C dans le deuxième. Ailleurs, les fortes densités affectent
plutôt les cours (Fig.
22), probablement dans un but d'assainissement.
Il y a une très grosse différence de quantité entre les
deux couches. La couche supérieure a plus de deux fois plus de quartzites
que la couche inférieure (Fig.
22 A) : 4.500 kg en dessous et 10.000 kg en dessus. Il en est de même
pour la quantité de charbons de bois : 122 kg pour la couche inférieur
et 106 kg pour l'autre alors qu'on va voir que dans celle-ci une bonne partie
du charbon est issu d'un incendie. Les différences sont grandes pour
un nombre d'habitants estimé comme voisin : pas plus de zones foyères,
pas de changement climatique majeur, pas plus de maisons et surface fouillée
identique. Quelle est la cause de cette différence ? On en est réduit
aux hypothèses. Cuisait-on moins à l'eau bouillante dans le
premier village ? Pour la viande, on sait qu'il n'y a pas de différence
entre les deux villages car la quantité d'os brûlés (rôtis)
est la même.
C'est au nord que se situent les plus grosses zones d'évacuation des
pierres inutilisables (Fig.
21 B) et on peut penser que la plupart des amas de la couche inférieure,
placés plus au nord que ceux de la couche supérieure, auraient
disparu avec les effondrements lors des assèchements de 1870 (voir
plus loin). On verra que le deuxième village devait être moins
au sec que le premier, donc les pierres cassées étaient plus
conservées partout pour assainir le sol. Cela expliquerait le déficit
des pierres de chauffe de la couche inférieure, qui dans ce cas ne
serait pas réel mais ceci n'explique la quantité moindre du
charbon de bois : on reste sur nos interrogations.
Autres cailloux non cassés :
On a des galets de quartzite entiers (réserves près des maisons)
et d'autres qui entraient dans des structures domestiques non discernées.
La quantité est la même dans les deux couches (Fig.
21 A).
B
- UN INCENDIE DANS LE PREMIER VILLAGE
La nature et la disposition des charbons de bois diffèrent
: près de la surface de la couche inférieure les morceaux étaient
gros ou très gros et ne ressemblaient pas à d'autres, plus petits,
contenus dans le cur de la couche. En outre, à la surface de
celle-ci ou très peu enfoncés, reposaient un grand nombre de
madriers parfois de plusieurs mètres de long, de 4 à 10 cm de
diamètre et calcinés à la périphérie (Fig.
24 et 25). Certains n'étaient pas brûlés sur la partie
qui touchait le sol. La calcination a été incomplète
comme si les bois avaient été arrosés lors de la combustion,
comme si on avait tenté d'éteindre l'incendie qui a dû
toucher les maisons 2 et 3, si on se réfère à la répartition
des madriers calcinés (Fig.
25).
Selon toute vraisemblance, cet incendie a dû avoir lieu avant la mise
en place des maisons de l'an 18 et ce serait probablement la raison de la
reconstruction totale du village. Il n'a pas pu se produire au moment ou après
l'abandon puisque celui-ci a été suivi par la chute des charpentes
non calcinées qui étaient encore en place.
C
- L'EFFONDREMENT DES TOITURES APRES LE PREMIER ABANDON
Des madriers, jusqu'à 10 m de long et de 5 à
10 cm de diamètre, reposaient dans la couche stérile B.2, inclus
dans la craie qui avait recouvert le site après l'abandon (Fig.
26 et 27). Ils sont très majoritairement alignés et orientés
suivant la direction du vent dominant ce qui indique leur chute et leur dépôt
sur le sol et la présence, continue ou non, d'une faible épaisseur
d'eau suffisante pour permettre leur déplacement.
Postérieurement ils ont été enfouis dans le limon crayeux
de la couche B.2.
Leur position sur le site est en rapport avec les dernières structures
existantes (Fig. 26). Leur
étude complète se trouve dans la partie " Les charpentes
et les toits " du chapitre
sur l'Architecture.
D
- NIVEAUX DE DESTRUCTION DES VILLAGES
La craie au-dessus de la couche B.1 est parsemée d'écorces
et de rares madriers flottés sur une dizaine de centimètres.
La couche stérile B.2 conserve de très nombreuses écorces
et, on vient de le voir, des madriers issus des charpentes des maisons du
premier village (Fig. 20
et 28 A).
C'est à dire que les destructions sont bien marquées. Les écorces
devaient entrer en grande quantité dans les structures des maisons
des deux villages (parois, sols, toit ?). On en a un exemple avec celles posées
à plat sur une petite surface de la maison 21 A du deuxième
village (Fig. 28 B) : mais
cette disposition était-elle généralisée ? On
dispose d'indications sur le processus de destruction des structures : dans
la couche B.2, elles sont placées au-dessous des madriers de charpente,
ce qui prouverait qu'elles proviendraient des toits ou des murs et non des
sols qui n'ont pas été érodés.
Les écorces, comme les madriers, sont présentes mais très
rares au-dessus de la couche B.1 quand celle-ci est recouverte de craie :
ce qui nous fait dire que, pendant la destruction des structures, la hauteur
d'eau fut la plupart du temps importante, permettant ainsi aux écorces
et aux pièces de bois tombées d'être transportées
loin du site et non leur dépôt sur le sol.
La disparition des toits ne s'est pas produite dans les mêmes conditions
après les deux abandons : un sol inondé faiblement et par intermittence
après la première occupation, une montée des eaux plus
constante et plus forte après la deuxième. Ceci avait été
déjà envisagé avec la différence de conservation
des restes végétaux.
E
- EROSION DES COUCHES ET ENFONCEMENT DU SITE
Comme les altitudes relatives de la surface et du fond des couches ont été
notées tous les mètres, il est possible de connaître les
niveaux et la forme des différents sols. A partir des observations
relevées à la fouille, on délimite ainsi l'action des
érosions et des lessivages après les abandons.
1 - La
couche supérieure a perdu, par lessivage, la totalité de ses
restes végétaux seulement dans la partie haute du village (Fig.
5). La ligne de séparation entre la zone lessivée et celle
qui ne l'est pas marque le niveau d'étiage du lac qui laissait à
découvert les sédiments durant certaines périodes difficiles
à estimer, ce qui a permis leur pourrissement. Le lac n'est descendu
plus bas car toute la surface du sol supérieur n'aurait alors conservé
que ses restes minéraux. Ceci confirme l'immersion définitive
du site très rapidement après le deuxième abandon car
autrement, il aurait subi un début de pourrissement tel celui qui a
affecté le sol inférieur, que l'on sait être resté
dans une zone rarement inondée pendant 40 ans.
On a une preuve supplémentaire de la montée définitive
du lac en comparant le nombre de restes de cordes retrouvées dans les
deux niveaux : 10 dans la couche supérieure et 25 dans la couche inférieure,
alors que la couche supérieure a deux fois mieux conservé les
différents textiles que l'autre (voir tableau ci-dessus). Or les vestiges
organiques sont moins bien conservés dans la couche inférieure,
alors comment expliquer cette différence qui ne concorde pas avec la
tendance générale ? Les maisons du premier village ont disparu
par pourrissement sur un sol exondé la plus part du temps et les cordes
de fixation de la charpente se sont retrouvées par terre avec le bois.
Par contre, si les charpentes sont tombées sur l'eau lors de la destruction
de l'habitat, il est normal que les cordages aient disparu aussi
La
couche supérieure sera lessivée très lentement, et seulement
dans la partie la plus haute du site, au cours de rares épisodes de
basses eaux ; cela favorisera ainsi la bonne conservation des éléments
végétaux déjà en place lors de l'abandon.
2 - Au
nord comme à l'est du site, les niveaux d'occupation s'enfoncent très
vite, recouvert par des épaisseurs de plus en plus grandes de craie
lacustre (Fig. coupe 5 et
coupe 6). Des carottages systématiques
sur le versant est ont montré la position altimétrique des couches
que nous n'avons jamais vues car la quantité de sédiment à
ôter dépassait nos possibilités techniques (voir les courbes
de niveau : Fig. 5).
Vers le nord, le pendage commence à partir de la ligne des points 501
et 505 (Fig. 23 B). Entre
la ligne 703-707 et le point 905, la fouille a dégagé sur une
vingtaine de m² les sols néolithiques et des relevés stratigraphiques
précis montrent un pendage de plus en plus prononcé à
mesure qu'on s'éloigne du centre. La quantité de craie lacustre
qu'il fallait enlever pour les atteindre nous a obligé à restreindre
nos ambitions de poursuivre dans cette direction. Les niveaux étaient
complets, stratifiés de la même façon que ceux du centre
du site où les sols sont presque à l'horizontal. Cette rupture
de pente n'était pas normale et des observations dans cette zone nous
ont aidées à en comprendre la cause :
- autour de quelques pieux les couches archéologiques n'adhéraient
plus au tronc et laissaient un espace de plusieurs centimètres, jamais
constaté ailleurs (Fig.
23 B)
Les pieux, habituellement verticaux ou sub-verticaux, prenaient un pendage
de plus en plus marqué en allant vers le large et toujours dans cette
direction.
La présence de plusieurs pieux fracturés franchement, sans esquilles,
atteste que le mouve-ment du terrain était récent car il fallait
que la texture du bois soit identique à celle d'aujourd'hui (la forme
est conservée mais la matière ligneuse a presque totalement
disparu, rendant le bois très cassant) pour permettre des fractures
aussi nettes sur du sapin ou du frêne (Fig.
29).
Des évènements du passé récent du lac expliquent
la cause de la pente prise par les niveaux archéologiques en bordure
du site. De travaux de grande ampleur, entre 1866 et 1869, ont été
entrepris pour contrôler le débit de la Fure, utilisée
par de nombreuses industries en aval du lac, avec la mise en place d'un déversoir
artificiel et de vannes de régulation. Pour cela, un profond canal
de fuite a été creusé, provoquant une baisse des eaux
de plusieurs mètres par abaissement du seuil de l'émissaire
; ceci a séché, fissuré et déstabilisé
la craie lacustre des hauts fonds littoraux restée émergée
pendant trois ans. Puis en 1870, une exceptionnelle sécheresse amena
à nouveau le niveau du lac trois mètres en dessous de l'étiage,
ce qui occasionna l'effondrement total de plusieurs hectares de beines fragilisées
près des rives .
Le site des Baigneurs ne s'enfonçât pas brutalement mais ses
bords, sur le lac et sur le déversoir, glissèrent progressivement
vers le fond ; les forces de gravité firent fluer les sédiments
ce qui les bascula sans les perturber, inclina les pieux de sapin et fractura
ceux qui étaient trop solidement enfoncés.
C'est pour cela que les parties nord et est du village se sont enfoncées
et qu'une épaisse couche de craie les recouvre aujourd'hui.
L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects :
nom et année à retrouver dans la bibliographie générale,
ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif) se trouve dans
la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes
les études non publiées.