Comme toute fouille archéologique, la fouille subaquatique détruit irrémédiablement le domaine même de sa recherche. C'est donc un acte grave qui doit être réfléchi et s'accomplir avec le maximum de précautions et de moyens techniques; car la fouille n'est pas un simple ramassage d'objets, mais la patiente collecte d'informations innombrables et diverses qui seront utilisées après l'exploration pour comprendre le mode de vie de nos ancêtres et connaître la nature qui les entourait.
Vers 1935-1940, le perfectionnement apporté par l'invention du scaphandre autonome a ouvert à l'archéologie subaquatique des possibilités d'exploration "révolutionnaires" par rapport aux dragages ou ramassages antérieurs. Au siècle dernier, ce furent surtout des amateurs d'antiquités qui venaient se fournir en objets destinés à enrichir quelques collections privées.
Une méthode d'exploitation subaquatique nouvelle
Entre 1955 et 1970 un pionnier de la recherche subaquatique, le lyonnais R. Laurent, a peu à peu mis au point certaines techniques et méthodes permettant la récupération précise et raisonnée des vestiges archéologiques.
Sur ces bases déjà solides nous avons, dès 1972, sur le site de Charavines, adapté méthodes et matériels pour satisfaire complètement aux principes fondamentaux de la fouille, énoncés en 1956 par le grand préhistorien que fut A. Leroi-Gourhan :
- exploration des couches par décapage horizontal,
- repérage précis des vestiges et des structures dans les
trois dimensions,
- extraction du maximum de renseignements à partir de
tous les sédiments qui entourent les objets archéologiques.
Pour réaliser ce projet nous avons dû adapter tous les gestes de la fouille et son déroulement au milieu aquatique et à ses contingences. Il faut prendre d'abord en considération les impératifs de la survie dans l'eau et d'un appareillage qui, si parfait soit-il, encombre et gêne certains mouvements.
L'expérience montre qu'après un certain temps (variable selon les individus), il se produit une sorte d'engourdissement des capacités intellectuelles du plongeur (mémoire, discernement, initiative, etc.) ; la réflexion, au sens où on l'entend sur un chantier terrestre, est très difficile en plongée ; elle sera complétée sur terre, avec les documents remontés (relevés, plans, échantillons) et contrôlée par des plongées de vérification. C'est pour cela qu'il faut impérativement simplifier, standardiser les tâches sous l'eau et vérifier immédiatement les mesures et les notes sans que les plongeurs prennent ombrage de cette diminution des moyens due à la physiologie propre à la plongée, à la température et à la pression.Ce sont ces constatations qui nous font préférer, pour la qualité du travail sous l'eau, une équipe d'archéologues-plongeurs "permanents", qui arrivent à bien connaître leur terrain et ses problèmes parce qu'ils possèdent une formation archéologique et qu'ils ont participé à de nombreuses campagnes. Ensuite, il faut souligner la particularité des conditions de fouille en eau douce, différentes de la fouille sous-marine. Il a fallu mettre au point des techniques spéciales, car on se heurte à de nombreuses difficultés.
Le gisement n'est pourtant pas à une grande profondeur (2 à 4m) mais:
- les fouilles ayant lieu le plus souvent en été, la visibilité est mauvaise car l'eau, plus chaude, permet la prolifération du plancton et la précipitation du carbonate de calcium en solution,
- le sédiment encaissant (craie lacustre, argile, limon) ne peut être remué sans soulever un nuage de particules qui gêne la visibilité,
- la couche archéologique contient des éléments organiques (végétaux et animaux) souvent bien conservés qui sont à la limite du seuil de flottabilité, et qui ont donc tendance à se déplacer très facilement au moindre mouvement.Un cadre triangulaire de repérage
Le manque de visibilité nous a obligés à mettre en application deux dispositifs complémentaires : le cadre triangulaire pour faciliter le repérage des vestiges et le système du "rideau d'eau" pour améliorer la vision.
Le cadre triangulaire a été la solution imaginée dès 1960 par R. Laurent au lac du Bourget.
Le cadre de repérage utilisé pour les fouilles à terre (constitué de carrés de 1m de côté) est très difficile à installer sous l'eau car le défaut de visibilité empêche de le mettre en place avec précision.
De plus il est aussi très délicat, compte tenu de la perte rapide des capacités intellectuelles dans l'eau, de déterminer la position exacte d'un objet à l'intérieur de ce cadre carré (cela exigeant de tracer deux perpendiculaires reliant cet objet aux deux côtés adjacents du carré et de noter exactement le point d'intersection et ses distances).
On remplace donc le carré par un triangle équilatéral, constitué par un bâti métallique de 5m et on repère l'objet en mesurant ses distances par rapport aux trois sommets du triangle, au moyen de mètres-rubans fixés à chacun de ces sommets. L'intérieur de ce grand triangle est subdivisé par des ficelles en 25 triangles de 1m de côté, qui servent d'unité élémentaire de fouille car leur surface de 0,43m² n'est ni trop grande pour un repérage aisé, ni trop petite pour gêner les mouvements et le travail dans l'eau.Le "rideau d'eau"
Le rideau d'eau est un dispositif imaginé par l'archéologue suisse Ulrich Ruoff, et utilisé par nous de manière différente : il ne sert plus à chasser les sédiments encaissants mais au contraire à donner une bonne visibilité au fouilleur. Il crée un "appel d'eau", qui "aspire" le nuage de particules mis en suspension par le déplacement des sédiments lors de la fouille.
En pratique c'est très simple : on utilise un tube percé d'une enfilade de petits trous, espacés d'une quinzaine de centimètres; on y injecte de l'eau sous haute pression par une pompe immergée, ce qui provoque le courant qui chasse les particules soulevées dans la zone de travail.
Le carottage de vérificationAprès le dégagement des morts-terrains superficiels avec des moyens puissants comme des dévaseuses, et avant toute fouille, les cadres métalliques de repérage sont mis en place et bien calés à l'horizontale. Puis sont enfoncés, le plus profondément possible à travers les couches, un certain nombre de tubes (de 10 àu 20 cm de diamètre) qui serviront à conserver des carottes pour l'analyse fine des sédiments, la recherche des micrograines, etc. Ce carottage est systématique pour comprendre les changements de faciès latéraux dans la composition précise des éléments constitutifs, dont les résultats viennent étayer les observations de fouilles et l'établissement des structures d'habitat que nous permet la dendrochronologie.
La fouille
La fouille proprement dite se pratique à main nue car des instruments métalliques risqueraient d'abîmer les objets souvent très mous (notamment bois, textiles, os...): aussi la main, protégée ou non par des gants, suffit dans la majorité des cas pour dégager sans peine tous les vestiges en leur conservant leur intégrité. Il est quelquefois utile de sortir les pièces fragiles avec tout le bloc de sédiment qui les supporte afin de ne les dégager qu'en laboratoire. Cette opération se fait sans difficulté particulière dans l'eau, à l'aide de plaques de tôle et d'une scie. On peut de la même manière prélever des témoins de coupes stratigraphiques.En général, les vestiges mis au jour (céramique, structures et objets en bois...) sont laissés en place pour être d'abord photographiés si la visibilité le permet et portés sur plan avant d'être enlevés. Pour dresser plan et coupe, on écrit avec des crayons gras sur des plaques de PVC sur lesquelles sont pré-indiquées par gravure à l'échelle du 1/10e les triangles métriques: des notes peuvent être prises sur place en écrivant sur ces "ardoises".
La totalité des sédiments, otés très lentement lors de la fouille, est récupérée dans des seaux marqués de la lettre de leur triangle métrique et de leur couche. Avec les objets archéologiques, ils seront sortis de l'eau sur le ponton flottant qui surmonte le site.
Tous les pieux, bois horizontaux, planches, etc. sont échantillonnés en vue de l'étude dendrochronologique systématique.La base intermédiaire: le ponton
Au-dessus du site est ancré un lourd ponton qui sert de base de départ aux plongeurs. C'est aussi le relais indispensable entre les opérations subaquatiques et celles qui vont s'effectuer à terre. En plus il permet la surveillance des plongeurs et leur sécurité, une aide technique et une bonne coordination des actes archéologiques et leur vérification continue par une comptabilité rigoureuse des objets, des seaux de sédiments et des divers vestiges récupérés. On comprendra son importance qui a grandi au fur et à mesure des améliorations que l'on a apportées au fil des expériences acquises. Le rôle des "pontonniers" archéologues est difficile, mais fondamental dans le déroulement logique de l'exploitation d'un gisement subaquatique.
La base terrestre
Une infrastructure complexe est installée sur la rive pour le traitement immédiat des vestiges et des sédiments sortis. Arrivés par bateau, ces matériaux vont suivre des cheminements variés et successifs avant d'être conditionnés en vue de leur étude ultérieure en laboratoire.
Le tamisage
Le contenu de chaque seau de sédiment est tamisé à l'eau sur une série de 3 à 4 tamis emboîtés (mailles de 8 à 1mm). Un tri minutieux permet d'en extraire les petits éléments archéologiques non vus à la fouille (éclats de silex, tessons, etc.) puis les cailloux, les charbons de bois, les bois, brindilles, branches, feuilles, fruits, graines, coprolithes, etc. Tout est isolé, compté, pesé et mis en sac avant d'être stocké.
Le conditionnement des vestiges
Conditionnement des objets archéologiques: Les vases en céramique et les tessons sont nettoyés, séchés et consolidés; si besoin est, par imprégnation immédiate à l'acétate de polyvinyle dissous dans l'acétone. Chaque fragment reçoit un numéro et l'indication de sa position topographique (couche et triangle) inscrits à l'encre recouverte de vernis. Les outils et les éclats en silex ou en métal subissent le même sort, sans toutefois être consolidés.
Il reste les pièces les plus fragiles que sont les objets de bois ou de textile. Au sein du matériel découvert, les matières végétales posent des problèmes particuliers car c'est le milieu aquatique qui a permis leur conservation et elles sont remises à l'air.
Bois et objets en bois, feuilles, cordes, plus rarement tissus, sont parvenus jusqu'à nous, parfois après des millénaires d'immersion, à l'abri de l'air, de la lumière, des variations thermiques, à l'abri également des insectes et des fermentations qui parviennent d'ordinaire à les détruire complètement. Tous ces éléments se sont conservés mais ils sont cependant devenus fragiles, bien que leur aspect de surface soit généralement à peu près intact.
On ne peut pas les laisser sécher, car ces objets gorgés d'eau perdraient rapidement leur volume et pour la plupart éclateraient. Il est donc indispensable de les tenir humides dans des sachets étanches, en attendant leur traitement en vue d'une conservation définitive.
Les ossements ramollis par décalcification dans la couche d'habitat, les objets et fragments de bois de cerf doivent aussi subir un nettoyage fin, chaque élément étant ensuite placé sur des supports rigides enfermés en sacs étanches, ou dans des boîtes elles aussi étanches, les emballages portant bien sûr le numéro et la localisation précise de ce qu'ils contiennent.
Tout sera ainsi prêt pour le traitement et pour l'étude ultérieure.Premières opérations
Il est important de vérifier tout de suite le bon déroulement de tous les gestes de la fouille subaquatique. Pour les relevés et les plans le fouilleur effectue une première mise au propre, ce qui permet de corriger sans attendre les imperfections par un nouveau contrôle sur le terrain, s'il en est besoin. Des "check-lists" sont remplies au fur et à mesure du conditionnement des divers vestiges (objets et éléments triés au tamisage) sur lesquelles apparaîtraient immédiatement des erreurs éventuelles de marquage ou d'attribution. Sur ces listes établies par petits triangles et par couche s'inscrivent les poids et les comptages de la majorité des éléments triés, qui seront rentrés en ordinateur après la fouille.
Le tri botanique
Une autre opération fondamentale se déroule directement sur la base terrestre, c'est le premier tri botanique. Quelques personnes, sous la responsabilité d'un spécialiste, individualisent dans ce qui n'a pas passé au travers des tamis, les fruits et les plus grosses graines, soit directement à l'oeil, soit à la loupe binoculaire. Plus de 20 espèces de graines facilement reconnaissables peuvent être ainsi séparées et comptabilisées. En laboratoire, plus tard, des échantillons prélevés dans les carottes serviront à la recherche des graines plus petites (inférieures à un millimètre).
Le premier acte de la fouille est terminéTous les documents, objets, prélèvements, plans, photos, notes prennent le chemin des laboratoires; c'est dans le calme, avec les moyens tehcniques les plus modernes que de nombreux spécialistes (sédimentologues, botanistes, palynologues, céramologues, typologistes, etc.) vont unir leurs connaissances et leurs travaux pour contribuer à la compréhension puis à la synthèse des données archéologiques. La fiche technique qui résume les caractéristiques du gisement et énumère les collaborateurs est assez éloquente sur la pluridisciplinarité indispensable en archéologie moderne, qu'elle soit subaquatique ou non. C'est d'ailleurs pour cela, puisqu'on ne diffère en rien de l'archéologie "terrestre", que nous n'insisterons pas sur les multiples travaux effectués, en "aval" de l'exploitation sur le terrain.
Ensuite il faudra passer au traitement conservatoire des éléments périssables (bois, graines, etc.) et procéder à l'étude scientifiques des vestiges.