1 - On
ne fabrique pas de bons récipients pour cuire la soupe
La mauvaise qualité des vases en terre cuite est due à la basse
température de cuisson de la terre lors de la fabrication. On comprend
mieux qu'il était indispensable d'avoir recours aux pierres de chauffe
pour faire cuire les aliments car les vases n'auraient pas résisté
au contact direct avec les flammes d'un foyer.
A-t-on perdu à Charavines les savoir-faire des siècles antérieurs
où les vases étaient bien cuits ou est-ce seulement une tradition
particulière que d'utiliser des pierres de chauffe ?
Nous pencherions plutôt pour cette hypothèse car il n'y pas de
raisons techniques, les potiers savaient confectionner aussi des vases en
pâte fine et moyenne qui semblent bien cuits et qui étaient appréciés
puisqu'ils partaient même à l'exportation en Suisse (Lac de Bienne)
ou dans le Jura (Lac de Chalain) (Sturny et Ramseyer 1984).
Les potiers de Charavines avaient seulement
quelques centaines de mètres à faire pour trouver l'argile verte
d'origine glaciaire qui colmate l'extrémité sud du lac, sous
quelques décimètres d'alluvions. C'est d'ailleurs, comme on
l'a vu, la même argile qui forme les chapes foyères des maisons.
La température de cuisson (Billaud 1982, Ramseyer 1984, Coll.)
ne dépasse pas 5 à 600°. En l'absence de four véritable
elle était mal maîtrisée et bien des récipients
subissaient souvent des chocs thermiques très violents qui les faisant
éclater ou se fendre. Certains étaient quand même mis
en usage après avoir été réparés:
entre deux trous creusés au silex de part et d'autre de la fissure
un lien palliait le défaut (Pl. 12-2
; Pl. 18-2).
Sur le sol de la maison 3 de la première occupation quatre grands vases
non cuits étaient aplatis sous le poids des sédiments. A l'abri,
ils étaient en attente de cuisson, ce qui indique que la fabrication
de la poterie s'effectuait au jour le jour, le passage au feu étant
un ouvrage collectif qui intervenait seulement quand le nombre de pots séchés
était suffisant pour justifier l'allumage du foyer à cuire.
2
- Trois grandes catégories de vases
Parmi les 392 vases individualisés il est possible de distinguer
trois groupes différenciés par la dimension et la qualité
de la pâte (Ferrer-Joly 1986-88) :
- les très grands (plus de 30 cm
de haut) en pâte épaisse et grossière avec gros grains
de dégraissant, de forme cylindrique ou en tonneau comportent toujours
quatre languettes sous le bord, nécessaires pour les soulever et à
retenir des liens en corde pour les suspendre. Ils servaient au stockage des
denrées (Pl. 14 à 24).
- les vases de dimensions moyennes (de 15 à 30 cm de haut) en pâte
généralement moins grossière sont cylindriques, en tonneau,
tronconiques ou globuleux. Deux boutons ou languettes facilitent leur prise
à deux mains. Beaucoup ont été utilisés pour cuire
la nourriture car les parois internes sont souvent recouvertes d'un encroûtement
noirâtre que beaucoup considèrent comme caractéristique
de la cuisson des bouillies (Pl. 2-9 à
12).
- les vases de plus petites dimensions sont toujours en pâte fine ou
assez fine, bien lissée et les formes sont variées: tronconiques,
globuleuses, en calotte sphérique, parfois cylindriques. De l'écuelle
haute à l'assiette basse, de la tasse à bouton unique au petit
gobelet, c'est une vaisselle pour boire et manger (Pl.
1 à 13).
- Ces récipients, à usage personnel, sont complétés,
lors de la deuxième occupation, par des "bouteilles" à
col plus ou moins resserré, en pâte fine et de contenance toujours
inférieure à un litre (Pl. 12 et
13). Aucun ne présente d'enduit interne, donc ils n'ont pas servi
à cuire.
Les fonds sont en général plus ou moins arrondis ; sur 392 vases
on a :
- faiblement aplatis (Pl. 2-15, 4-7,
10-2, 12-6 et
10, 15-2, 24-2).
- un tronconique à fond vraiment plat (Pl.
5-2).
- une assiette à fond plat dégagé (Pl.
1-16) dont la pâte sableuse était identique à celle
des vases qui portaient des anses rostriformes, donc une importation.
3 - Différence entre les deux couches
On note immédiatement que les pourcentages
des catégories de vases diffèrent beaucoup d'une couche à
l'autre, en particulier pour les grands vases silos où à cuire
: les vases en tonneau sont bien plus nombreux dans le premier village alors
que les cylindriques le sont dans le deuxième village.
Cette différence entre deux habitats successifs, séparés
seulement de 40 ans, oblige à atténuer la valeur que l'on accorde
habituellement aux chronologies typologiques fondées sur des stratigraphies
terrestres où de si petits écarts de temps ne peuvent pas être
déterminés.
Il en est de même pour l'apparition de forme nouvelle comme les vases
" à col" (Pl. 13) qui apparaissent
seulement dans le deuxième village.
Là encore, Charavines, avec ses
deux couches nettement séparées et leur datation précise,
demeure un gisement dans lequel sont possibles des observations uniques et
lourdes de sens pour le préhistorien.
4 - Les
préoccupations esthétiques ne sont pas de mise
Il y a deux vases décorés
dans le premier habitat dont on ignore le forme et la dimension qui devait
être moyenne si on en croit les rares tessons : ceux-ci portent des
alignements et des zigzags de points imprimés sur pâte fraîche
(Pl. 1-18 et 19). Seulement un dans le deuxième
niveau : cylindrique, son décor en chevron est formé d'impressions
punctiformes (Pl. 15-3), assez semblables
à celles qui ornent quelques vases de la civilisation de Horgen en
Suisse.
A Charavines on n'attachait qu'un intérêt utilitaire aux récipients
et l'esthétique n'entrait pas dans les préoccupations... Cette
absence de décoration sur la céramique domestique témoigne
d'une tradition particulière à cette période dans les
Alpes du Nord, car elle se constate aussi dans d'autres sites régionaux,
autour de Grenoble, au bord du Rhône ou sur le lac du Bourget.
5 - Une vaisselle familiale
La forme des vases est adaptée à leur fonction mais subit aussi
les influences de la mode et du goût de leur fabricant ou de leur utilisateur.
L'étude statistique montre que
chaque famille avait ses préférences pour certaines formes.
L'exemple des maisons 2 et 3 de la première occupation est démonstratif
avec une superficie équivalente et un nombre de vases voisins :
- dans la maison 2 il y a 64% de bols tronconiques et 36% de bols globuleux
alors que dans la maison 3 la proportion est inverse, respectivement 28% et
72%.
- la maison 3 préfère aussi les récipients de stockage
en forme de tonneau (27%) par rapport à la maison 2 (13%). Dans d'autres
cas et pour d'autres vases les pourcentages varient mais jamais dans de telles
proportions.
A l'intérieur même des traditions techniques collectives qui
changent suivant les régions et les époques, chaque famille
montre donc des goûts spécifiques pour ses récipients;
comme aujourd'hui les "services de vaisselle" étaient très
personnels...
B
- LA VANNERIE (Textile Pl.
8)
Les paniers étaient bien semblable à ceux d'aujourd'hui comme
celui dont le fond fut laissé sur le sol au moment du premier départ
du village (Pl. 8-
1). Les spécialistes à qui il fut soumis ont été
étonnés de son degré de sophistication et ne pensaient
pas que leur art avait des racines aussi anciennes (Ginet-Godeau 1989,
Coll.).
Des récipients fabriqués suivant la technique des boudins de
fibres herbeuses maintenus par des tressages il ne subsiste que des fragments
(Pl. 8-2 et 4). Ce sont les restes de panier
en colombin végétal, tels que ceux utilisés encore pour
conserver le grain bien aéré et au sec. Malheureusement leurs
formes et leurs dimensions ne peuvent pas être reconstItuées,
seule leur existence est attestée.
D'autres récipients existaient, confectionnés avec les écorces
de bouleau et parfois retrouvés dans les lacs suisses. A cause de leur
extrême fragilité, ils sont rarement intacts dans les sites,
pourtant leur présence est fréquemment attestée par des
fragments d'écorce cousues.
A Charavines onze morceaux d'écorce
ont été dégagés mais sont trop ténus pour
permettre d'affirmer leur présence.
L'appel de la bibliographie se présente sous deux aspects :
nom et année à retrouver dans la bibliographie générale,
ou nom, année suivi de " Coll. " (collectif) se trouve dans
la liste Collectif 2005, dans la Bibliographie. Cette liste regroupe toutes
les études non publiées.