Le perfectionnement apporté, vers 1935-1940, par l'invention du scaphandre autonome a ouvert aux les amateurs d'antiquités subaquatiques des possibilités d'exploration nouvelles par rapport aux dragages ou aux ramassages qui enrichissaient les collections publiques et privées de Suisse et de France. Mais ce n'était toujours pas de l'archéologie...

L'archéologie subaquatique prend naissance : le temps des pionniers.
En 1955, Raymond Laurent, ingénieur chimiste et préhistorien amateur, anime les activités d'un club de plongée de Villeurbanne et s'intéresse aux vestiges du fond des lacs. C'est lui qui, au fil des ans, mit au point des méthodes permettant la récupération précise et raisonnée des restes dans l'eau, fondement même de l'archéologie.
Sur terre, on se repère dans un carré, dans l'eau c'est un triangle équilatéral.
La base triangulaire équilatérale a été la solution imaginée, dès 1960, par R. Laurent pour topographier la position des vestiges immergés. Pourquoi triangulaire ? Le système de repérage carré utilisé pour les fouilles terrestres est très difficile à installer sous l'eau car la faible visibilité empêche de réaliser des angles de 90° : les visées optiques étant exclues, il faut le recours au triangle avec des côtés de 3, 4 et 5, non modulables à la fouille. Par contre on fait sans difficulté des angles de 60° avec trois barres égales, quelle que soit leur longueur. Donc c'était la solution évidente : des triangles de 2, 3, 5, 10 ou 20 m de côté suivant les besoins, tous étant subdivisés aisément si nécessaire. R. Laurent l'appliqua immédiatement à la topographie des pieux sur la station du Crêt de Châtillon à Sevrier.

Pour bien fouiller il faut un repérage précis des vestiges
Peu après au lac du Bourget, il conçut le cadre mobile et rigide de repérage de 5 m de côté pour positionner le ramassage des pièces par unité triangulaire de 1 m, soit sur une surface de 0,43 m² très suffisante pour la précision à l'intérieur de villages étendus sur plusieurs hectares. On pouvait ainsi visualiser les densités d'objets, de cailloux, de charbons de bois, etc.
Il ne restait plus qu'à confectionner des barres métalliques standard, facilement ajustables les unes aux autres, qui seraient fixées au-dessus du sol sur des tubes enfoncés. Les réglettes de maçon de 5 m en duralumin firent l'affaire sans gros frais, à l'intérieur desquelles des cordelettes délimitaient 25 triangles d'un mètre qui se voit attribuer un numéro standardisé. C'est un binôme dont l'intitulé permet de localiser dans l'espace le triangle d'origine : par exemple 4-23 dont 4 correspond à l'abscisse et 23 à l'ordonnée du triangle sur le plan général.

Une fouille expérimentale sur le lac de Paladru en 1972
Après les essais sur le lac du Bourget à Châtillon et à Grésine, dans les années 65/70, les sites néolithique et médiéval de Charavines, ont, en 1972, adopté méthodes et matériels de R. Laurent, avec son aide et ses conseils, pour satisfaire complètement aux principes fondamentaux de la fouille archéo-
logique moderne. Ceux-ci ont été énoncés en 1956 par le grand préhistorien A. Leroi-Gourhan : soit l'exploration par décapage horizontal des couches, le repérage précis des vestiges et des structures dans les trois dimensions et l'extraction des sédiments qui entourent les objets archéologiques pour fournir le maximum de renseignements sur l'histoire des hommes et de l'environnement.

On peut y voir clair avec le " rideau d'eau "
Les gisements de Charavines ne sont pas à une grande profondeur (2 à 4 m) mais on se heurte à plusieurs difficultés. Les fouilles ayant lieu en été, la visibilité est mauvaise car l'eau, plus chaude, permet la prolifération du plancton et la précipitation du carbonate de calcium en solution. Le sédiment encaissant (craie lacustre, argile, limon) ne peut pas être remué sans soulever un nuage de particules. La couche archéologique contient des éléments organiques (végétaux et animaux) souvent bien conservés qui sont à la limite du seuil de flottabilité, et qui ont donc tendance à se déplacer très facilement au moindre mouvement : il faut donc bien les voir.

Pour cela, on a recours à un " rideau d'eau " qui crée un courant lequel aspire puis chasse le nuage de particules mis en suspension par le déplacement des sédiments lors de la fouille.
En pratique on utilise un tube percé d'une enfilade de trous, espacés d'une quinzaine de centimètres ; on y injecte de l'eau sous très haute pression par une pompe immergée, ce qui crée un courant qui chasse le trouble soulevé dans la zone de travail, lui rendant immédiatement une bonne visibilité.

La base intermédiaire: le ponton
Au-dessus du site est ancré un ponton qui sert de base de départ aux plongeurs et de relais entre les opérations subaquatiques et celles qui vont s'effectuer à terre. En plus il permet la surveillance des plongeurs et leur sécurité, une aide technique et une bonne coordination des actes archéologiques par vérification et comptabilité rigoureuse des objets, des seaux de sédiments et des divers vestiges récupérés.

La fouille
Après le dégagement des morts-terrains superficiels avec des moyens puissants comme des dévaseuses, les cadres métalliques sont mis en place et bien calés à l'horizontale car c'est à partir d'eux que seront prises les altitudes des objets.
La fouille se pratique à main nue car des instruments durs risqueraient d'abîmer les objets souvent très mous (notamment bois, textiles, os...) : aussi la main, protégée ou non par des gants, suffit dans la majorité des cas pour dégager sans peine tous les vestiges en conservant leur intégrité.

Pour sortir les pièces fragiles, on les extrait avec tout le bloc de sédiment qui les supporte afin de ne les dégager qu'en laboratoire. Cette opération se fait sans difficulté particulière dans l'eau, à l'aide de plaques de tôle. On peut de la même manière prélever des témoins de coupes stratigraphiques.

Les gros vestiges mis au jour (céramique, structures et objets en bois...) sont laissés en place pour être d'abord photographiés si la visibilité le permet puis portés sur plan avant d'être enlevés. Plans et coupes sont dressés sur des plaques de PVC.

La totalité des sédiments est récupérée dans des seaux marqués du numéro de leur triangle métrique et de leur couche. Avec les objets archéologiques, ils seront sortis de l'eau et portés sur le ponton flottant. Tous les pieux, bois horizontaux, planches, etc. sont échantillonnés en vue de l'étude dendrochronologique systématique.

La base terrestre
Une infrastructure complexe est installée sur la rive pour le traitement immédiat des vestiges et des sédiments. Arrivés par bateau, ils vont subir des opérations successives avant d'être conditionnés en vue de leur étude ultérieure en laboratoire.

Le tamisage
Le contenu de chaque seau de sédiment est tamisé à l'eau sur une série de 3 à 4 tamis emboîtés (mailles de 8 à 1 mm). Un tri minutieux permet d'en extraire les petits éléments archéologiques non vus à la fouille (éclats de silex, petits tessons, etc.) puis les cailloux, les charbons de bois, les bois, brindilles, branches, feuilles, fruits, graines, coprolithes, etc. Tout est isolé, compté, pesé et mis en sac avant d'être stocké.

Conditionnement des vestiges
Les tessons, les os, les silex et autres restes sont nettoyés, séchés et consolidés et chacun reçoit un numéro et l'indication de sa position topographique (couche et triangle) inscrits à l'encre recouverte de vernis. Il reste les pièces les plus fragiles que sont les objets de bois ou de textile. On ne peut pas les laisser sécher, car ils perdraient rapidement leur volume et, pour la plupart, éclateraient. Il est donc indispensable de les tenir humides dans des sachets étanches, en attendant leur traitement en vue d'une conservation définitive.

Le tri botanique
Une autre opération longue mais fondamentale est le tri botanique, indispensable à la connaissance des habitudes alimentaires et culturales comme de l'environnement végétal. Sous la responsabilité d'un spécialiste, sont récupérés et comptabilisés les fruits et les graines : plus de 20 espèces facilement reconnaissables peuvent être ainsi isolées.

Premières vérifications
Il est important de vérifier tout de suite le bon déroulement de tous les gestes de la fouille tant dans l'eau qu'à terre. Pour les relevés et les plans, le fouilleur effectue une première mise au propre, ce qui permet de corriger sans attendre les imperfections par un nouveau contrôle sur le terrain, s'il en est besoin. Des "check-lists" sont remplies au fur et à mesure du conditionnement des divers vestiges (objets et éléments triés au tamisage) sur lesquelles apparaîtraient immédiatement des erreurs éventuelles de marquage ou d'attribution. Sur ces listes établies par petits triangles et par couche s'inscrivent les poids et les comptages de la majorité des éléments triés, qui seront rentrés en ordinateur après la fouille.

La fouille est terminée…
Ensuite rien ne diffère de l'archéologie "terrestre", en aval de l'exploitation sur le terrain si ce n'est que les éléments périssables (bois, graines, etc.) devront subir un traitement conservatoire particulier.

 

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L'ARCHÉOLOGIE SUBAQUATIQUE DES LACS ET DES RIVIERES
Par Aimé Bocquet,
Ancien directeur du Centre national de recherches archéologiques subaquatiques (aujourd'hui Département des recherches subaquatiques et marines) Ministère de la Culture.
Le ponton, le cadre triangulaire de 5 m subdivisé en triangles métriques par des cordelettes, la pompe et le rideau d'eau
Le ponton au-dessus des triangles dans lesquels fouillent les plongeurs
Fouille à main nue dans les triangles métriques délimités par une cordelette

Sortie sur une plaque de tôle, d'une hache-marteau entière avec son manche.

Vases écrasés dégagés avant leur enlèvement en bloc sur une plaque.

Se reporter aussi ici
Un exemple en lac : les villages néolithiques de Charavines en Dauphiné
Sceptre avec manche en frêne très fragile reposant sur le sol
Relevé des plans sur une "ardoise" en plastique
Seaux de sédiments à leur arrivée sur la base terrestre
Tamisage à l'eau
Marquage des pièces
Tri des graines
Mise au propre des plans
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