Autour de Revel-Tourdan,
les traces de nos ancêtres racontent
une longue et belle histoire…
par Aimé Bocquet et Lionel Poipy


Chauvet, Aven d'Orgnac, Vassieux-en-Vercors, Charavines… les grands sites préhistoriques sont nombreux en Rhône-Alpes. Et que savons-nous vraiment sur la présence de l'homme préhistorique dans la plaine de la Bièvre-Valloire, dans le canton de Beaurepaire en particulier ? Un siècle et demi de ramassages et de fouilles ont récolté nombre de vestiges anodins et d'autres prestigieux qui en font une des régions les plus riches du Sud-Est de la France. Car cette plaine fut un axe de circulation très utilisé qui mettait en relation la vallée du Rhône et les zones alpines (Chartreuse, Vercors, Grésivaudan…). Ces traces d'occupation permettent d'approcher l'histoire fascinante des hommes, de leurs origines, de leurs évolutions et de leurs contacts avec ceux d'ailleurs au cours des millénaires. C'est ce que nous allons ten-ter de vous conter.

La plaine de Bièvre-Valloire est une vallée fossile creusée par les glaciers puis remplie de sédiments fluvio-glaciaires par l'Isère pendant la grande glaciation de Mindel, il y a 600 000 ans puis par celle de Riss 300 000 ans plus tard : les deux atteignirent le Rhône. La glaciation de Würm, la dernière, qui débute il y a 100 000 ans, n'avança pas au-delà de Beau-croissant et depuis la rivière s'enfonce dans son cours actuel. Ce passé géologique explique la fertilité des sols par leur longue maturation sans remaniements ni apports pendant 500 000 ans ; ceux de la vallée de l'Isère mis en place bien plus récemment, sont beaucoup moins féconds. Ainsi s'explique l'attrait de la région pour les paysans qui pouvaient en tirer facilement leur nourriture au point que le nom de Valloire (Vallis Aurea, la vallée d'or) fut lui donné par les Romains.

Le paléolithique entre 350 000 et 12 000 av. J.-C.

"L'âge de la pierre taillée" ancienne, comme on l'appelait auparavant, ne semble avoir laissé que quelques traces ténues sur notre territoire. En l'état actuel de la recherche les pre-mières traces d'occupation par l'Homo Erectus, au paléolithique inférieur, apparaissent sous forme de choppers à Agnin, Salaise-sur-Sanne et la Côte-Saint-André comme outils isolés. D'après le gisement de l'Aven d'Orgnac, dans le sud de l'Ardèche, ils peuvent dater de 350 000 ans, de l'interglaciaire Mindel-Riss. Des palets-disques découverts dans les rivières de La Derroyet du Dolon par Charles Colas et J M Caizergues au cours des années 80, constituent-ils nos seuls témoignages locaux. Bien d'autres ont été trouvés à Lentiol, au Grand-Serre, Bressieux, etc. Mais de quoi s'agit-il ? Ces objets que l'on nommait auparavant " OLNI " (Objets Lithiques Non Interprétés) désignent un certain type d'instruments tranchants ou contondants exécutés le plus souvent à partir d'un galet de quartzite et dont on ignore l'âge et la fonction.
Lorsqu'ils sont trouvés en stratigraphie, ces outils datent incontestablement de la période paléolithique. Mais c'est malheureusement rarement le cas. Ils proviennent généralement de découvertes fortuites, totalement hors contexte archéologique et peuvent par conséquent appartenir à des périodes fort différentes. Leur concentration peuvent également traduire la présence d'ateliers de rouissage du chanvre d'époque indéterminée. Certains auteurs relatent même l'utilisation des palets-disques en tant que bouchons d'amphore. L'intemporalité de ces objets peut donc nous laisser perplexes quant à leur utilisation à la période paléolithique.

Dans les Alpes, les traces de l'homme de Néandertal, au paléolithique moyen, peuvent remonter à 100 000 ans. Leurs haltes de chasse les plus proches sont en Chartreuse dans la grotte des Eugles à Saint-Laurent-du-Pont, en Vercors dans la grotte de Prélétang à Presles et en station de plein air à Saint-Nizier.

Vers 35 000 av. J.-C., au paléolithique final, l'homme de Cro-Magnon ne semble pas être passé dans la Bièvre-Valloire car elle n'en possède aucun reste. Il a pénétré dans les Alpes par la vallée de l'Isère mais bien tardivement, entre 13 000 et 10 000 av. J.-C. On les retrouve à Saint-Roman, à la grotte du Taï et à l'abri de Campalou à Saint Nazaire-en-Royans, à Voreppe, à Fontaine et dans le Vercors, toujours près des torrents poissonneux à Méaudre, la Chapelle-en-Vercors, Saint-Agnan-en-Vercors ou Engins.

A partir de 14 000 ans av. J.-C., après le retrait des glaciers, l'homme évolue dans un contexte froid et sec, avec des températures en moyenne inférieures de 10° à celles que nous connaissons aujourd'hui. La steppe se développe, offerte aux rennes, chevaux, bisons, bœufs musqués, élans, castors… mais aussi mammouths et rhinocéros laineux ; les montagnes proches abritent bouquetins, chamois, marmottes et oiseaux. Tout ce gibier est apprécié de ces chasseurs venus du Midi à la belle saison faire provision de peaux de marmottes...

A partir de 10 000 av. J.-C., une nouvelle phase de réchauffement, cette fois défini-tive, permet le développement de pins, noisetiers et bouleaux parmi lesquels cerfs, chevreuils et sangliers se multiplient remplaçant les rennes et les chevaux, animaux disparus dans steppes glacées. Par les découvertes dans d'autres régions, nous savons que durant l'Épipaléolithique et le Mésolithique (entre 12 000 et 6 000 av. J.-C.), les outils d'os ou de bois se garnissent de microlithes collés, c'est-à-dire des silex de très petite taille.
Entre 8 000 et 5 500 av. J.-C., l'installation progressive du climat tempéré favorise le développement du milieu forestier aux dépens de la steppe. Les hommes aiment l'espace et s'installent dans des clairières ou au-dessus de la limite supérieure de la forêt, chassent le petit gibier et pêchent beaucoup. Près de chez nous on en a des restes au col de Porte et au col du Coq en Chartreuse, dans les grottes de Coufin et de Balme Rousse à Choranche, au pas de la Charmate à Chatelus en Vercors.

Le néolithique de 6 000 à 2 200 av. J.-C.

Vers 6 000 av. J.-C. dans le sud de la France apparaissent les premières céramiques et les traces de la domestication animale (bœuf, porc, chèvre, mouton).Malheureusement aucun site ne permet encore d'affirmer la présence de l'homme dans la région. Cette absence peut être liée à trois raisons : à leur inexistence, à la disparition des sites (détruits ou profondément ensevelis) ce qui est peu probable vu la très faible sédimentation ou à l'absence de prospec-tions archéologiques. Il faut attendre le néolithique sous un climat plus chaud qu'aujourd'hui, pour que des objets de silex nous attestent la présence humaine avec certitude. Les vestiges dont nous disposons sont assez nombreux mais très épars, isolés au gré des trouvailles.

Au néolithique moyen, à partir de 4 500/4 000 av. J.-C., des agriculteurs venus du Midi colonisent de vastes territoires vierges en déboisant pour cultiver : chez nous ce sont ceux de la civilisation chasséenne qui diffusent rapidement, de la Méditerranée jusqu'au nord de la Bourgogne. Il nous en reste trois sites d'habitat : la Croix Trouva à Bressieux, à Lapeyrouse-Mornay et à Moras-en-Valloire. À Primarette un splendide nucléus à lamelles de silex, identique à ceux du site précédent, montre l'habileté de l'artisan, il y a 6 000 ans.
Puis la population s'accroît peu à peu et reçoit des influences du plus en plus nombreuses et variées car les échanges se multiplient : ainsi à Charavines, on a de l'ambre de la Baltique, du silex du val de Loire, un vase et du cuivre du Languedoc et des céramiques de Charente… Parmi les vestiges néolithiques retrouvés isolés, la plupart ne peut pas être datée avec précision. À Saint-Barthélemy des lames et deux beaux silex rouges trouvés au XIXème siècle à proximité de la pisciculture Murgat, à Pommier deux silex taillés ; à Beaurepaire au lieu-dit "Saint Michel", en 1968, on a découvert des silex. Un splendide poignard en silex finement taillé a été trouvé à Lentiol, exemple parfait de l'outillage en pierre qui atteint son plus haut niveau de perfection, à la fin du néolithique, entre 2 500 et 2 000 av. J.-C. Fabriquée dans un lointain atelier de taille, cette très belle pièce témoigne des échanges à longue distance et aussi que nos paysans étaient bien insérés dans leur monde. À Beaurepaire, Pact et Primarette des haches polies, une à Pommier et huit à Revel-Tourdan. Des dizaines d'autres haches polies et des silex divers ont été ramassées à Lentiol, Biol, la Côte-Saint-André, Faramans, le Grand-Serre, Hauterives, etc. Une bonne partie a fait l'objet de publication dans d'anciennes revues. Nous retiendrons de ces éléments que la région, comme partout ailleurs, a été peu à peu déforestée par les agriculteurs mais la densité des vestiges étant plus importante en Valloire, on peut penser que l'occupation y fut plus forte.

Nous pouvons remarquer que seuls les objets en pierre nous permettent d'attester la présence humaine dans la région durant la préhistoire. La période est seulement connue par des découvertes ponctuelles de haches polies et d'outils ou éclats de silex. Aucun artéfact en os, en corne, en bois ou autre n'a été trouvé. L'absence de site en stratigraphie nous impose des datations extrêmement larges uniquement fondées sur les découvertes de sites éloignés sur lesquels nous retrouvons le même type de matériel. Sans rentrer dans le détail, les diverses haches polies dont nous disposons sont, pour la plupart, originaires des Alpes italiennes, Piémont ou val d'Aoste, et peuvent être datées entre 4 500 et 2 000 av. J.-C. Quant aux silex, en l'absence d'étude précise, il est bien difficile de définir leur origine. Nous pouvons tout de même noter que des pseudos gisements existent sur le canton notamment au lieu-dit " Les Fontaines " à Saint Barthélémy et au " Cropon " à Revel-Tourdan.

En ce qui concerne le néolithique, "l'Age de la pierre polie", on a vu le développement de l'agriculture et de l'élevage lié à une sédentarisation temporaire qui ne sera définitive qu'à partir de l'âge du Bronze. Les traces de déforestation se manifestent aussi à Charavines dès le Néolithique moyen entre 4500 et 3200 av. J.- C. Ces occupations temporaires, limités à vingtaine d'années sont rapidement abandonnés par la perte de fertilité des sols due à la faible efficacité des outils aratoires. Le néolithique final, entre 3 000 et 2 200 av. J.-C., semble marqué par une intensification du peuplement. Les haches polies que nous avons recensées n'ont pro-bablement pas toujours servi aux opérations d'essartage, la pratique de la culture sur brulis étant beaucoup plus aisée. Elles contribuaient au travail du bois de façon plus ponctuelle avec notamment la taille de pièces de construction, le façonnage de barques, arcs, flèches et autres outils et ustensiles en bois. Les haches polies ont pu également servir à la découpe de pièces de boucherie voir d'armes de combat, encore qu'on n'ait aucune preuve de guerres autre que des éclats de silex fichés dans des os à Fontabert et à la Balme-d'Isère.
Au cours des âges qui nous séparent de la préhistoire, ces haches polies ont joué un rôle prophylactique. Certaines comme dans le canton de Roussillon ont été retrouvées dans les murs de construction en pisé, d'autres demeuraient au fond des poches de leurs propriétaires. Il arriva même durant les temps anciens, à l'époque gallo-romaine, que certaines d'entre elles accompagnent les défunts dans leur sépulture. La protection des troupeaux de moutons était, il y a encore quelques décennies, assurée par une hache polie contenue dans un sac pendu au cou du bélier de tête…

Âge du Bronze, de 2 200 à 750 av. J.-C.

Des perles en cuivre, importées du Languedoc, se retrouvent à Charavines mais cette présence ancienne est un épiphénomène rarissime dans nos régions. Il faut attendre 1 700 av. J.-C. pour voir, en Bièvre-Valloire, arriver le bronze depuis les ateliers de la civilisation du Rhône centrée sur le Valais suisse, une hache à Tourdan et un tranchant de hache à Primarette. Les paysans, toujours de tradition néolithique, étaient assez riches pour faire venir de loin des outils si efficaces mais très chers. Un peu plus tard, vers 1 500 av. J.-C., c'est d'Allemagne du Sud-Ouest que vient la hache à talon de Cour-et-Buis. Ces outils sont rares car même s'ils ont été plus nombreux, ils ont été refondus à l'époque pour en faire de nouveaux : le recyclage était de mise quand le métal était aussi onéreux ! Deux bracelets et une hache trouvés à Tourdan, sont un peu plus récents tout comme une hache de la Côte-Saint-André, datant du XIVe siècle av. J.-C. Revel-Tourdan était déjà une zone riche pour avoir livré autant de vestiges en bronze…
Ce n'est qu'à partir du IXe siècle av. J.-C. que le métal se banalise et qu'une fabrication locale devient courante : ainsi en témoigne le trésor de fondeur de Thodure qui comportait deux lingots, huit haches, deux poignards, une lance, deux burins et un marteau. La composi-tion de ce dépôt montre le matériel d'un bronzier ambulant qui coulait des pièces à partir de lingots et qu'il pouvait ciseler des bijoux avec un marteau et des burins… Un autre, à Saint-Siméon-de-Bressieux, contenait six haches (dont quatre coulées dans le même moule !), deux bracelets et trois lingots. Deux haches isolées à Lentiol, Saint-Maurice-de-Galaure témoignent encore du métal à la fin de l'âge du Bronze.
En Europe occidentale se diffuse aux IXe/VIIIe siècles av. J.-C. des motifs de décors gravés originaux sur des vases : méandres (ou grecques), swastikas, ocelles, frises de danseurs, attelages et chars à deux ou quatre roues. Les sites ayant livré de tels décors abondent en Languedoc oriental mais sont plus rares en Suisse ou en France : citons près de chez nous le lac du Bourget dans ses stations lacustres, Sérézin-du-Rhône, Rhône et Virignin, Ain. On les retrouve aussi, et en abondance, sur des vases en terre ou en bronze dans la fabuleuse Civilisation de Villanova, en Italie centrale, celle qui est à l'origine des fameux Étrusques et a créé la ville de Rome. Cette mode s'est diffusée à partir de la Grèce ancienne durant les périodes protogéométrique et géométrique. Mais, ici, ces gravures sont accompagnées de signes bien énigmatiques . Certains n'y voient que des amusements de potiers quand d'autres les prennent pour une écriture. Des spécialistes cherchent à les déchiffrer mais n'est pas Champollion qui veut … Voilà une nouvelle originalité et une curiosité archéologique de notre région qui a fait l'objet de nombreuses études savantes.

Âge du Fer de 750 à 120 av. J.-C.

Depuis un millénaire le climat se tempérait peu à peu, devenait moins chaud mais, à partir du XIVe siècle av. J.-C., il s'assécha fortement au point de faire baisser de plusieurs mètres le niveau des lacs alpins. Ceci favorisa, nous le disons en passant, l'installation des ateliers de potiers et de bronziers sur leurs rives émergées simplement parce que, gourmands en combustible, il était facile d'alimenter les fours en amenant le bois par flottaison ! Cette sécheresse extrême ne semble pas avoir eu d'influence sur nos populations. La forte pluviosité qui suivit à partir de 800/750 av. J.-C. n'a pas dû en avoir non plus. La Bièvre-Valloire est restée à l'écart des incursions des Hallstattiens, ces éleveurs nomades venus du centre de l'Europe et qui apportaient l'usage du fer au début de l'âge du Fer : ils s'installèrent surtout dans l'est de la France.

De cette époque, la fin de l'âge du Bonze final, il nous reste un trésor spectaculaire et fastueux : le char cultuel de la Côte-Saint-André. D'un tumulus près de la gare, en 1888, sont sortis quatre roues en bronze coulé, un grand seau et un bassin plat en tôle de bronze. Ce type de char est bien connu en Allemagne et en France de l'Est, le nôtre étant le plus méridional de tous. Il est composé des roues coulées chez un bronzier de talent à la fin de l'âge du Bronze (VIIIe siècle av. J.-C.) mais seau et bassin proviennent, eux, d'ateliers de la plaine du Pô du VIe siècle donc fabriqués 200 à 300 ans plus tard . Cela indique une très longue utilisation du véhicule et l'honorer d'un enfouissement sous un tertre révèle son caractère sacré. Ce sont toujours des ensembles luxueux destinés à porter "l'eau lustrale" dans les champs : le terme lustral à Rome signifiait purification. La cérémonie avait pour objectif d'assurer la bénédiction et la protection de la divinité et on purifiait ainsi les champs ou les troupeaux. Nos pièces extraordinaires et ces rites particuliers appellent un autre commentaire. Ces processions avaient une telle signification pour les paysans qu'au VIIIe siècle ap. J.-C., donc 1200 ans plus tard, on les pratiquait encore dans la Bièvre-Valloire. Comment le sait-on ? Saint Mamert, évêque de Vienne en 474 les christianisa dans son diocèse en fête des "Rogations" (du latin rogare, demander). Mieux encore, le concile d'Orléans en 511 étendit ce rite à toute la Gaule et il fut plus tard officialisé dans le monde chrétien. Cette fête très populaire, qui tint pendant 1500 ans une place majeure dans nos pratiques religieuses rurales, n'existerait probablement pas sans Saint Mamert mais surtout sans une survivance millénaire que le char de la Côte-Saint-André atteste dans notre région…

Vers 500 av. J.-C., les Gaulois, peuple de nomades cavaliers, sont venus du centre de l'Europe s'installer en Champagne ; ils y créent une riche et belle civilisation. Ils eurent, dès leur implantation, des volontés de conquêtes et lancèrent des raids lointains ; nous avons à Pact un témoin de ces incursions dans un tumulus funéraire qui contenait quatre vases caracté-ristiques de leur vaisselle fabriquée dans la Marne, à l'époque de la Tène ancienne. La trace de ces raids est très rare et nous avons seulement une sépulture de guerrier à Saint-Laurent-en-Royans, au pied du Vercors. Les Gaulois passent mais ne sont pas encore chez nous…

Les Allobroges sont les Gaulois qui arriveront, en masse, au début du IIIe siècle av. J.-C. ; leurs multiples tribus viennent des bords du Danube moyen. Guerriers cavaliers, ils s'infiltrent parmi les paysans et s'imposent très probablement par la force puis se sédentarisent progressivement. Leur présence eut des conséquences considérables : ce sont eux qui ont structuré nos territoires et modelé nos paysages. Ils ont mis en place une administration, des routes, construit des villages et des citadelles. On retrouve tout ça dans les toponymes et hy-dronymes encore utilisés aujourd'hui. Citons déjà notre région, la Bièvre qui tire son nom de biber, le castor en gaulois : ils devaient donc proliférer dans les ruisseaux serpentant dans des forêts encore vastes. Autres exemples : Tourdan vient de Turedonnum, de turo, la hauteur et dunum, la citadelle ; à Dun d'Anjou, toujours dunum ; le mont Avalon à Saint-Hilaire-de-la-Côte, d'aballo, le pommier ; Lentiol, Lens-Lestaing, le Grand-Lemps de Lendo, le marécage ; la ferme du Nant à la Côte-Saint-André, de nanto, la Combe ; la Chana à Rives, le Chanos à Saint-Avit, de cassanos, le chêne, etc.
À Rives, un tumulus contenait des incinérations avec épées, lances, fibules et un extraordinaire baudrier porte épée en fer. Mobilier funéraire normal pour des soldats mais nous avons pourtant des motifs de nous émerveiller : le porte baudrier est un chef d'œuvre de fer-ronnerie issu des ateliers du centre de l'Europe (on en connaît un autre parfaitement identique en Slovénie). En plus, ces objets sont en fer chimiquement pur, c'est à dire inoxydable ; les anneaux du baudrier s'articulent comme au premier jour alors qu'ils sont restés deux millénaires dans la terre ! Aujourd'hui on obtient ce fer seulement par électrolyse… donc les Gaulois étaient de fameux sidérurgistes pour y parvenir seulement avec du charbon de bois !

Du premier siècle av. J.-C., date une très belle fibule, provenant probablement d'une tombe découverte à Tourdan. Les Allobroges ont souvent enfoui des monnaies d'argent formant des "trésors" : celui de Tourdan, contenant 162 oboles de Marseille et 82 pièces allo-broges, était placé, comme c'est souvent le cas, près d'une citadelle. Il se confirme donc que Tourdan conserve sa place primordiale au cœur de la région et qu'elle la gardera sous la domination romaine.

Bièvre-Valloire, deux noms pour la même plaine… Ce n'est fortuit : à l'est, une contrée restée longtemps boisée où les castors proliféraient, au temps des Allobroges, et à l'ouest un territoire fertile et bien peuplé. Après les Romains, à une époque que les historiens vous préciseront, les différences disparurent. Mais les deux entités anciennes demeurent encore aujourd'hui, séparées dans les esprits. Prégnance du passé !

Pour conclure, ce coup d'œil sur notre préhistoire nous a ouvert un monde passionnant avec des vestiges que bien d'autres régions seraient en droit de nous envier ! Nous arrêterons là notre retour en arrière. Car, avec les Romains nous allons entrer dans l'Histoire, là où l'archéologie ne sera plus seule pour nous ouvrir aux temps anciens ; les écrits viendront donner une autre dimension aux recherches sur les hommes et leurs activités.


Bibliographie sommaire

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BOCQUET A. 2017 Préhistoire des Alpes http://www.aimebocquet.com/
BOCQUET A. 1969 L'Isère préhistorique et protohistorique, en deux parties :
http://www.persee.fr/doc/galip_0016-4127_1969_num_12_1_1340 et
http://www.persee.fr/doc/galip_0016-4127_1969_num_12_2_1343 pour
toutes les découvertes antérieures à 1968 dans le département de l'Isère et leur bibliographie.
BOCQUET A. 2012 Les oubliés du lac de Paladru. Ils vivaient depuis 5000 ans à Charavines en Dauphiné. 180 p. 200 ill. (avec un DVD de tous les résultats scientifiques). Ed. Fontaine de Siloé, Montmélian. http://www.aimebocquet.com/Oublies_du_lac.pdf
COLLECTIF " Premiers Alpins, des derniers chasseurs de la Préhistoire aux premiers paysans, 14 000-6 000 ans avant le présent ", Musée Dauphinois, Grenoble, 1995.
CHAPOTAT G.1962 Le char processionnel de La Côte-Saint-André (Isère). GALLIA. t. 20, fasc. 1. p. 33-78, 33 fig. http://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1962_num_20_1_2348

DROUVOT N. 2005 L'agglomération antique de Turedonnum (Revel-Tourdan, Isère). Revue archéologique de la Narbonnaise. Numéro 1 pp. 45-59
MICHEL J.-C. 2013, Inventaire archéologique de l'Isère http://www.jc-michel.fr
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NICOLAS A. et COMBIER J. 2009. Une écriture préhistorique ? le dossier archéologique de Moras-en-Valloire. La Mirandole

Grotte des Eugles,
Saint-Laurent-du-Pont, Isère

Site néolithique moyen de la Croix Trouva,
Bressieux, Isère

Site néolithique moyen
Moras-en-Valloire, Drôme

Poignard en silex
Lentiol, Isère.

Hache polie, Tourdan, Isère.
Origine : ateliers de taille du Mont Viso, Piémont

Hache spatuliforme,
Bronze ancien,
Tourdan,Isère.

Hache à ailerons médians,
Début âge du Bronze final
Tourdan, Isère

Signes énigmatiques et frise de danseurs.
Char à deux roues gravés sur pâte sèche.

Plat gravé,
Moras-en-Valloire

Perdrix des neiges
Dépôt du Truchet, Saint-Siméon-de-Bressieux.